Le site de e-commerce bol.com prend ses distances avec l’image que véhicule le Père Fouettard, Knorr rebaptise sa célèbre ‘sauce gitane’ en Allemagne pour lutter contre la discrimination à l'égard des Roms et des Sinti... Est-il judicieux pour les entreprises alimentaires et les retailers de s'impliquer dans des discussions sociales, parfois très controversées ?

En quelques heures seulement, le hashtag #BoycotBol s’est répandu à grande vitesse sur Twitter, mercredi 19 août. De nombreuses personnes ont protesté avec ce hashtag contre la décision de bol.com d'arrêter de vendre des produits arborant l’image du Père Fouettard, et ce, dès septembre prochain. Selon le site, cette décision concerne « un aperçu progressif, adapté à l'actualité des Pays-Bas et de la Belgique ». Beaucoup de gens se sont cependant opposés à cette initiative et ont appelé au boycott. D'autres, en revanche, voient la démarche d’un très bon œil. L'équipe en charge des médias sociaux de la boutique en ligne néerlandaise a travaillé dur pour expliquer les raisons de cette décision aux internautes indignés : « Le Père Fouettard met l'accent sur la couleur de peau et/ou l'ethnicité. C'est un sujet sensible et nous ne voulons donc pas proposer d'articles qui pourraient blesser certaines personnes à cause de ces stéréotypes. »

Le cas ne bol.com n’est absolument pas un événement isolé. En effet, un jour plus tard, l’enseigne Coolblue annonce qu'elle rejoint bol.com dans sa décision - ce qui a donné lieu à de nombreuses autres protestations en ligne - plus tôt cette semaine, nous apprenions également que Knorr, en Allemagne, avait rebaptisé sa célèbre ‘sauce gitane’ en Allemagne pour lutter contre la discrimination à l'égard des Roms et des Sinti. Avant l'été, suite à la mort brutale de George Floyd, le mouvement #BlackLivesMatter a résisté au racisme aux États-Unis et fait soufflé un vent de révolte chez nous également. Plusieurs entreprises se sont alors jointes au débat. Nestlé a exprimé son soutien et Mars s’est repositionné quant au logo d'Uncle Ben’s, Pepsico a dénoncé l'image de marque du sirop américain Aunt Jemina pour avoir trop insisté sur les préjugés raciaux. Jeff Bezos (Amazon) a également exprimé son soutien au mouvement ‘Black Lives Matter’ et s’est d’ailleurs vu confronté à beaucoup de réactions d’opposition. Il a cependant fait savoir qu'il était « heureux de perdre certains clients après sa déclaration de soutien ».

La question est de savoir s'il est opportun pour les entreprises de s'impliquer dans des débats comme ‘Black Lives Matter’, les discours de controverse quant à l’image du Père Fouettard ou encore d'autres discussions qui suscitent souvent de fortes réactions. « Il est toujours dangereux pour les entreprises de réagir aux tendances politiques et sociales à court terme », déclare Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola. « Aux Pays-Bas, le débat sur le Père Fouettard est très intense. Ce n'est pas pour rien que de nombreuses personnes ont appelé au boycott de bol.com. Pourtant, il est clair que le Père Fouettard va disparaître des Pays-Bas. Nos voisins du Nord sont influencés par ce qui se passe aux États-Unis. C'est pourquoi, au-delà du court terme et de la décision de bol.com, le mouvement se poursuit ». Fons Van Dyck, spécialiste publicité et marketing, mais aussi responsable de Think BBDO déclare que « si vous ne pensez qu'à court terme, il vaut mieux ne pas prendre part à ces débats, car cela compliquera les choses. Il faut que ça fasse partie de l'ADN et de la mission de votre entreprise. Si ce n'est pas le cas, vous serez très vite exposé ».

Saar Dietvorst, fondatrice et stratège en relations publiques chez Content Cats, déclare : « La règle de communication pour les entreprises est la suivante : ne pas s'impliquer dans des discussions sociétales houleuses. Cela comporte toujours un risque. En tant qu'entreprise, vous avez non seulement une responsabilité sociétale, mais aussi une responsabilité commerciale. Je pense néanmoins que les entreprises ne devraient pas avoir peur de cette responsabilité, pour autant qu'elles le communiquent bien et qu'il soit pertinent dans le cadre de leurs activités. Je trouve que bol.com a fait du bon travail. Ils l'ont très bien préparé et ont très bien communiqué, y compris avec leurs employés. Ils ont clairement expliqué pourquoi ils ont pris cette décision. Ce qu'il se passe actuellement va forcément s'apaiser. Ils auront perdu quelques personnes, mais dans le fond ils auront gagné. Ils ont également donné un exemple qui sera suivi par d'autres retailers. »

Il en va de même pour Nike, qui a soutenu il y a deux ans un certain Colin Kaepernick, le footballeur américain qui a refusé de saluer le drapeau américain en signe de protestation contre les violences policières à l'encontre des Noirs. Aux États-Unis aussi, la discussion était en plein essor : les gens partageaient sur les médias sociaux des séquences vidéo où certains brûlaient des affaires Nike et appelaient au boycott de la marque. La prise de position de Nike s'est pourtant avérée judicieuse. Fons Van Dyck : « Après toute la controverse et une baisse de la valeur de l'action, la marque est clairement ressortie plus forte, même si ce n'était pas l'idée première. Sur Internet, la discussion est très agressive et souvent tirée par des trolls radicaux de droite. Il faut toutefois plus que cela pour que les gens tournent le dos à une marque. D'autre part, de nombreuses personnes aiment qu'une telle entreprise prenne position dans une discussion sociale. »

« Au cours des cinq dernières années, les entreprises ont osé prendre de plus en plus de positions sociales », souligne Fons Van Dyck. « Même lorsqu'il s'agit de sujets brûlants. Les entreprises ont de plus en plus un but, une mission. Les consommateurs attendent la même chose d'eux. Vous pouvez aussi le constater chez nous. Le meilleur exemple est celui de Jef Colruyt : l'année dernière, il a mis en avant le slogan Sign For My Future, qui demande à nos gouvernements d'adopter une politique climatique plus ambitieuse. Il ne le fait pas pour des raisons commerciales ou publicitaires, mais parce qu'il y croit. C'est ainsi que cela fonctionne. Je pense que c'est pour laquelle prendre Bol.com avec une certaine considération, surtout aux Pays-Bas, où le débat sur Père Fouettard dure depuis beaucoup plus longtemps et est très polarisé. Les entreprises se font critiquer, mais sur le long terme, elles ne s'affaiblissent pas. »