Un distributeur qui s'exprime à l'occasion d'un conflit social en cours chez un de ses concurrents ? Ce n'est pas banal en Belgique, où chaque enseigne se garde d'ordinaire bien de le faire en pareil cas. Mais ordinaire, la situation ne l'est plus. Et l'enjeu du conflit social en cours chez Delhaize dépasse de loin le sort de l'enseigne au lion.

Si le leader du marché belge rompt ce silence, ce n'est pas du tout par hasard.

Il y a bien sûr une inquiétude, celle de ne bientôt plus pouvoir lutter à armes égales. Elle prolonge un agacement ou une amertume de longue date : le groupe Colruyt n'a jamais vraiment apprécié que son concurrent aujourd'hui le plus agressif, Albert Heijn, soit accueilli à bras ouverts en Flandre, alors que sa propre tentative d'implantation aux Pays-Bas en 2006 se heurta à l'hostilité des distributeurs bataves et aux relais qu'ils trouvèrent à différents niveaux de pouvoir néerlandais. Face aux bâtons mis dans les roues de ses projets, Colruyt fut contraint de renoncer. Le contraste avec l'accueil rencontré en Flandre par l'offensive lancée il y a 10 ans par Albert Heijn, depuis lors suivi par Jumbo, n'en fut que plus cruel. Le monde politique belge, et en l'occurrence flamand, aurait été naïf et peu soucieux de protéger les entreprises et les intérêts du cru. Colruyt le digère d'autant moins qu'avec Albert Heijn, il doit en effet affronter une concurrence rude, qui pratique des prix que des concurrents ou des fournisseurs associent volontiers "off the record" à du dumping. Et puis tout l'appareil logistique de ce concurrent est localisé aux Pays-Bas, à des conditions sociales néerlandaises bien plus favorables. "Opportuniste et malin," disent les uns ; "injuste," répondent les autres.