La prise de conscience qu’un scénario ‘No Deal Brexit’ n’est plus à exclure, provoque de grosses vagues de l’autre côté de la Manche. Il y a quelques jours, un ministre de la Sécurité d’Approvisionnement Alimentaire a été nommé et la chaîne de supermarchés Tesco a concédé qu’elle travaille à des plans de stockage préventif de produits alimentaires. En l’absence d’accord, l’ensemble de la chaîne logistique serait complètement perturbé. Les producteurs belges de produits alimentaires exportant vers le Royaume-Uni risqueraient d’être eux aussi durement touchés.

Le secteur britannique des transports tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs années déjà, mais celle-ci n’était jusque-là pas entendue. A moins que l’on en arrive à un ‘Soft Brexit’,  les chaînes logistiques seront à tel point perturbées qu’on en arrivera à des pénuries alimentaires… Très schématiquement: en cas de Soft Brexit, les réglementations de l’Union Européenne resteront largement en vigueur après le mois de mars 2019 et le transport sera alors organisé de la même manière qu’il l’est aujourd’hui avec la Norvège ou la Suisse. Aucun problème donc. Mais dans le cas d’un Hard Brexit, ou pire encore, d’un No Deal Brexit, des droits de douane devront être réintroduits et des contrôles douaniers devront à nouveaux être organisés. Plus de 10.000 camions circulent chaque jour à destination et en provenance du Royaume-Uni. Même si l’on arrivait à réduire la durée des contrôles à deux minutes par camion, ils engendreraient des embouteillages sur de nombreux kilomètres. Pour vous en donner un avant-goût: regardez plutôt la photo ci-dessus… Ce sont les embouteillages engendrés sur la M20 lorsque le trafic de la Manche est perturbé pendant quelques heures en raison d’une tempête ou d’une grève…

Si les contrôles douaniers sont réintroduits, la situation deviendra rapidement chaotique ,certainement durant les premiers jours du mois d’avril 2019, avertissent les transporteurs. De graves pénuries alimentaires devraient alors survenir après moins de deux semaines. Un scénario catastrophe que les retailers prennent désormais en compte… Dave Lewis, CEO de Tesco, a concédé que la chaîne de supermarchés britannique étudie actuellement la possibilité de constituer des stocks de produits alimentaires en prévision de ce chaos. « Notre plus grand défi sera d’assurer l’approvisionnement des supermarchés. Pour l’alimentation sèche, la problématique est moins aiguë, mais pour le frais, les possibilités de stockage préventif sont très, très limitées » souligne-t-il.

La division britannique d’Aldi a elle aussi déclaré envisager le stockage de produits alimentaires. Le constat est le même pour le CEO Giles Hurley: il voit l’approvisionnement de produits frais comme son principal défi.

40% des produits alimentaires sont importés

Selon Ian Wright, président de la British Food and Drinks Federation, il ne faut pas perdre de vue qu’au Royaume-Uni, 40% des produits alimentaires et des ingrédients sont importés. « Cela ne peut en aucun cas être compensé par la production des agriculteurs et producteurs locaux de fruits et légumes. Chaque année, ceux-ci font appel à 80.000 saisonniers étrangers. L’an dernier, seuls 60.000 se sont présentés en raison de la faiblesse de la livre sterling et donc de revenus moins élevés. Une partie importante de la production n’a dès lors tout simplement pas pu être récoltée. »

Selon lui, la disponibilité diminuera également en raison de la chute de la livre sterling par rapport à l’euro, ce qui renchérira les produits importés. Il y a d’ores et déjà moins de demande envers certains produits, comme l’huile d’olive pour ne citer qu’elle, car ils ne son plus financièrement accessibles. Ian Wright craint que, lorsque des droits d’importation devront être payés, encore plus de produits devront tout simplement être retirés des rayons. L’offre des producteurs alimentaires britanniques pourrait, en outre, elle aussi être réduite, en raison de leur dépendance à certains ingrédients jusque-là importés. Toujours selon Ian Wright, trois ou quatre mois avant le Brexit, les producteurs britanniques devraient dès lors massivement commencer à accumuler ces ingrédients d’importation…

 

Ministre de la Sécurité d’Approvisionnement alimentaire

Le gouvernement britannique semble avoir désormais pris conscience de la problématique. Il y a de cela dix jours, sans grand bruit, David Rutley s’est vu nommé Ministre de la Sécurité d’Approvisionnement Alimentaire. Ce poste ministériel n’existait pourtant plus depuis la Seconde Guerre Mondiale, ce qui renforce l’angoisse des consommateurs craignant une pénurie. David Rutley, ancien membre du conseil d’administration de la chaîne de supermarchés Asda et du groupe PepsiCo, doit veiller à ce que le pays ne connaisse pas de pénurie suite à un No Deal ou un Hard Brexit. Paradoxalement, sa nomination est également considérée comme rassurante, indique la presse britannique. Jusqu’à présent, le gouvernement ne semblait pas comprendre le fonctionnement de la chaîne logistique. La nomination de quelqu’un ayant de l’expérience et des connaissances sur le sujet est dès lors une bonne nouvelle.

Les producteurs belges seront eux aussi impactés

Les producteurs alimentaires belges exportant vers le Royaume-Uni risquent eux aussi d’être durement touchés. Non seulement parce que leurs produits deviendront plus chers en raison de l’affaiblissement de la livre sterling, des droit d’importation et des heures perdues à la frontière, mais aussi parce que les transports vers le Royaume-Uni se raréfieront et donc coûteront plus chers…

 

« Si les procédures douanières sont réintroduites, de nombreuses entreprises de transport cesseront tout simplement d'opérer vers le Royaume-Uni. Presqu’aucune entreprise de transport belge n'a encore des spécialistes des douanes dans son personnel. Les transporteurs devront embaucher quelqu'un qui connaît les règles douanières et qui sait comment les appliquer. On ne trouve actuellement presque pas ce type de personne. Un transporteur ne se rendant au Royaume-Uni que quelques fois par semaine, arrêtera ce trafic : engager un déclarant en douane est trop cher compte tenu du nombre de transports qu’ils effectuent», déclare Lode Verkinderen de l'association flamande des transporteurs TLV. Seuls les quelques grands spécialistes du transport sur le Royaume-Uni ayant des flux logistiques conséquents organiseront encore ces trafics.

Raréfaction des transports

Les producteurs belges de denrées alimentaires exportant vers le Royaume-Uni rencontreront d’autant plus de difficultés s’il s’agit d’un No Deal Brexit. Aujourd’hui, une ‘licence communautaire’ est suffisante pour le transport au sein de l’Union Européenne. Le nombre de ces permis est pour ainsi dire illimité. Si le Royaume-Uni quitte l'Union sans accord, ces permis devront être remplacés par des autorisations dites CEMT, qui sont strictement contingentées, ou par des autorisations "bilatérales". Il s'agit d'autorisations de transport convenues entre deux pays, par exemple le Royaume-Uni et la Belgique. Mais cela nécessite des négociations bilatérales, ce qui prend plusieurs mois. D'ici mars 2019, il sera impossible d'élaborer de tels accords.

Cela signifie que les transporteurs devront se rabattre uniquement sur ces fameuses licences CEMT. Cela priverait le marché d'une grande partie de la capacité de transport: le quota dont bénéficient les transporteurs britanniques est limité à 1,224 permis. Un chiffre inquiétant quand on sait que plus de 10.000 camions traversent la Manche chaque jour, avec des pointes allant jusqu’à 16.000 unités par jour.

Peut-être parce que la question des permis de transport est très technique, très peu d'attention a été accordée des deux côtés de la Manche à cette problématique. Elle est pourtant cruciale dans le contexte des éventuelles pénuries de produits alimentaires au Royaume-Uni après le Brexit.