Virginie Helias est Vice President Global Sustainability Procter & Gamble. Un titre qui témoigne de l’importance accrue dévolue par le géant de Cincinnati au développement durable. Nous avons profité de sa présence à Bruxelles pour mener avec elle un entretien à bâtons rompus.

Bonjour Madame Helias, comment devient-on Vice President Global Sustainability ?

L’intérêt de P&G pour le développement durable n’est pas neuf. La fonction existait déjà, mais son rôle a évolué. Mon prédécesseur était un pur scientifique, toxicologue de formation. L’accent était surtout mis sur la mesure de qualité environnementale. Mon propre cheminement vers la Sustainability a suivi un chemin plus inattendu, celui du marketing. J’étais responsable de l’innovation France et Benelux pour Ariel quand nous avons lancé en 2004 la formule adaptée au lavage à basse température. Une innovation bénéfique pour l’environnement et pour le budget du consommateur. « Si on se met tous au lavage basse température, nous épargnerons l’énergie suffisante pour éclairer 500.000 maisons », avions-nous pu lui expliquer. Résultat : notre part de marché fit un bond de 20%, alors qu’elle avait décliné au cours des trois années précédentes. Cette expérience prouva qu’il s’agissait à la fois d’une excellente idée business et de la meilleure idée environnementale, puisque 80% de l’empreinte carbone d’une lessive est provoquée par le chauffage de l’eau.

Une révélation qui devint pour vous une nouvelle vocation ?

En effet. Je me suis portée volontaire pour d’autres projets d’innovation favorables à l’environnement, comme Ariel Excel Gel, et sa formule très concentrée, autorisant à la fois un packaging compact et un lavage à 15°C. Et puis je suis allé suivre le training du WWF, One Planet Leaders. C’est à ce moment que je me suis dit que si je faisais de cette préoccupation mon job, l’impact sur les activités de P&G serait bien plus important. J’ai donc postulé pour cette fonction en 2011, qui a été promue au statut de Vice President après le départ de mon prédécesseur.

Quel est au quotidien le contenu de cette fonction?

Il s’agit de faire le lien entre la science et le business. De parler avec les business units et les aider à établir et renforcer ce lien,
pour faire progresser notre performance environnementale. Le durable, on en faisait depuis longtemps chez P&G, sans le dire ou peut-être même sans le savoir. On en a en tout cas fait dès les années ‘80 aux USA, où notre marque Tide utilise d’iconiques flacons de polyéthylène orange. Il posait un problème spécifique : la filière de recyclage s’en méfiait, parce que sa couleur risquait de «contaminer» le polyéthylène transparent. P&G a alors choisi de mettre en place sa propre filière de recyclage.

Quand on est marketer, on est aussi sensible à bien faire qu’à le faire savoir ?

C’est indispensable. Sur ce sujet, si votre organisation ne prend pas la parole, le public a tendance à croire que vous ne faites rien, ou pire encore, que vous lui cachez des choses. Quant à mon background marketing, il doit m’aider à résoudre une équation complexe, où entrent en ligne de compte des enjeux liés au business, à la marque, et à l’environnement. Quel est le point d’intersection entre ces dimensions ? La réponse n’est pas universelle, elle se définit au cas par cas.

Un exemple?

Prenez le détergent Dreft. L’impact environnemental le plus important tient
au volume d’eau utilisé, alors même que les lave-vaisselle actuels sont très économes
en la matière, bien plus qu’une vaisselle à la main. En réalité, l’impact sur l’eau
tient pour beaucoup à l’habitude qu’ont les consommateurs de rincer la vaisselle avant de la placer dans l’appareil. Vous allez proposer une réponse qui s’appuie sur votre brand equity. C’est ce que fait Dreft Platinum, avec sa promesse « Lave si bien qu’on n’a pas besoin de rincer ». Elle repose sur une véritable innovation qui réclame des efforts importants en R&D. Mais elle contribue à un objectif durable, puisque si tous les Belges sautaient l’étape du rinçage, ils économiseraient 18 millions de litres d’eau.

L’exercice sera différent pour d’autres marques. Prenons à présent l’exemple de Febreze. Le principal impact environnemental positif,
c’est ici au niveau du packaging qu’on peut l’atteindre, ce sur quoi nous nous sommes notamment engagés à travers un programme avec Terracycle, le «social business» qui se consacre à recycler et valoriser les déchets. La brand equity de la marque, c’est la notion de «fresh air», procurer un bol d’air frais. C’est plus difficile de trouver le point d’intersection, de lier les deux ! Nous avons planché avec notre agence, pour aboutir à : «Leave nothing but fresh air behind».

Ce qui me frappe, c’est combien on retrouve jusque dans votre politique durableune cohérence avec les fondamentaux proctériens. Dans tous les exemples cités, votre «point d’intersection» se formule à travers une USP…

Bien sûr, et c’est le secret ! Il est impossible à une marque de dire tout ce qu’elle fait. On ne peut pas communiquer sur tout en long
et en large.

Une politique durable se construit aussi avec les partenaires extérieurs, les clients ou fournisseurs.

C’est un domaine sur lequel nous travaillons de façon intensive, à travers nos Supply Network Innovation Centers. L’objectif fixé à l’origine pour 2015 - enlever des routes 30% du trafic de camions - fut atteint deux ans avant l’échéance. On développe le transport intermodal, on optimise les chargements en intégrant volume et poids, on fait de la collaboration horizontale avec des fournisseurs non concurrents. Et côté fournisseurs on agit en développant des Supplier Scorecards qui alignent nos pratiques sur des critères sociaux et environnementaux. Nous l’avons déjà mis en place sur les fournisseurs «tier 1» - plusieurs milliers - et nous avons l’intention de le faire à présent sur les fournisseurs «tier 2».

Les lessiviers n’ont pas toujours eu bonne réputation en matière durable. Comment prouver au public, y compris le plus exigeant, votre sincérité ?

L’interaction qui se développe avec le consommateur présente son lot de risques et d’opportunités. Il y a chez le consommateur
un désir de transparence. Il veut savoir qui est derrière la marque et ce qu’il y a dans le produit. Inutile de lui dire «faites-nous confiance», c’est un discours qui ne passe plus. Il n’y a pas d’autre choix que de nouer un dialogue.

Difficile d’interviewer une VP Global Sustainability sans évoquer avec elle l’actualité du moment, quand Donald Trump choisit de retrancher son pays des accords de Paris... Comment réagit-on dans une entreprise telle que la vôtre, où l’on n’intervient pas volontiers sur des sujets à portée politique ?

2017 est évidemment une année-clef en matière de politique environnementale, puisque cette actualité force les gens à prendre position. Celle de P&G est claire : notre Président et CEO David Taylor figurait parmi les 29 signataires d’une lettre demandant au Président Trump de ne pas se dégager des accords de la COP21. Et P&G figure parmi les fondateurs du Climate Leadership Council, qui milite pour une action de lutte contre le réchauffement climatique et est favorable à l’instauration d’une taxe sur les émanations de carbone.