Fleur Parnet est une consultante passionnée de l’univers alimentaire depuis qu’elle a passé 18 ans dans le groupe Danone et a parcouru différents pays aux cultures et usages alimentaires bien variés (du vieux continent : France et Belgique, au nouveau continent : Canada).

Plus récemment active dans les programmes d’innovations qui font travailler petites et grandes structures autour d’un but commun, Fleur Parnet s’engage pour un système alimentaire plus résilient et à impact positif sur la planète et la santé. C’est dans ce contexte que Fleur a rejoint #co.station, un organisme spécialisé en programme d’innovation ouverte et multipartite, et a lancé le programme #co.food qui rassemble 23 entreprises sur 6 problèmes alimentaires.

Mère des deux pré-ados qui mangent beaucoup, la réalité des repas à préparer à répétition tous les soirs et tous les midis pour l’école s’est imposée comme un chemin d’expérience personnelle sur comment manger mieux, tout en répondant aux contraintes et réalités professionnelles et sanitaires du moment. Fleur nous livre ici son analyse sur le phénomène des dark kitchen. Dark - ghost - black - hidden - cloud - light - bright - smart… kitchen… on peut citer les noms du concept de cuisine « virtuelle » en plein essor ces temps-ci, dont le but est de livrer uniquement via une plateforme en ligne des aliments préparés dans une cuisine centrale. En lisant la liste des noms qui ont tous une connotation négative, il est difficile de croire que nous pouvons transformer les dark kitchen en une solution positive, est ce si difficile ?

Voici quelques réflexions autour des possibles dark kitchen vertueuses. Regardons tout d'abord la réalité de l’émergence des dark kitchen notamment aux USA. Présentes depuis 10 ans aux USA, les dark kitchen sont sous le grill ces derniers temps. Entre 2014 et 2019, les ventes mondiales de livraison ont plus que doublé, selon Euromonitor. Cette croissance a atteint un sommet cette année : les revenus d'Uber Eats ont augmenté de plus de 100% par rapport à l'année dernière. Les dark kitchen sont synonymes de livraison rapide et de street/fast/bad food. Il est vrai que l'on associe souvent dark kitchen à des aliments déjà transformés, de la cuisine d'assemblage, sans vrai chef, et qui manque de contact avec les utilisateurs finaux... pas si positif en effet. Et qu'en est-il de la transmission de l'expertise et des recettes ? Cela a créé quelques dérives notamment dans le domaine des livraisons: avec Uber Eats et Deliveroo qui ne sont pas connus pour leurs bonnes pratiques sociétales. Finalement à bien y réfléchir, le phénomène des dark kitchen n'est pas nouveau, c'est juste une nouvelle forme des traiteurs, simplement ce phénomène s'est accélérée avec quelques excès… Mais est il possible d’inverser la tendance ?

Ce n’est pas parce que la réalité des dark kitchen n'est pas vertueuse aujourd'hui, que nous ne pouvons pas la changer en une expérience plus positive pour les gens et la planète. Énumérons tous les éléments positifs qui nous viennent à l'esprit lorsque nous parlons de cuisine sombre.  

1. Du point de vue des consommateurs, vous pourriez avoir accès à une offre alimentaire plus diversifiée, potentiellement locale si la dark kitchen en question n'est pas trop loin de chez vous, plus bio, spéciale et peut-être de niche ? C'est un bon moyen de rendre la bonne cuisine plus accessible, et moins « sur un piédestal » que l'univers très traditionnel du « chef intouchable », univers assez impitoyable par ailleurs.

Une autre manifestation de l’accessibilité grandissante de la cuisine en est la popularité de toutes les émissions culinaires comme Top chef ou Masterchef, ou encore le pornfood sur TikTok : cet univers devient moins sacré. D'une certaine manière, c'est bon ! Enfin dernier point positif pour le consommateur final est que c'est que cela crée une opportunité de surfer sur le FOMO (fear of missing out), avec un sentiment d'être unique, éphémère, comme en témoigne le streetlab de Juan Arbalez créé par le groupe Eleni.

2. Côté chef, vous pouvez mutualiser les coûts et accéder à une cuisine plus équipée, mieux équipée et cuisiner vos recettes sans investir vous mêmes tout en partageant les risques d'approvisionnement et de machines, donc essayer des recettes plus alternatives, prendre des risques ? Vous pouvez vraiment vous concentrer sur la création de recettes et sur la nourriture elle-même. Même pour les projets à un stade précoce, une cuisine partagée peut être utile, inspirée d'un laboratoire comme becook !  Et avouons-le aussi, pendant la pandémie, le modèle dark kitchen, a été salvatrice pour faire survivre quelques restaurants. Une autre tendance intéressante - liée à l'Intelligence artificielle - est la rapidité non pas de livraison mais de création et d'anticipation des besoins des consommateurs : peut-on inventer la nouvelle génération de dark kitchen en utilisant le même algorithme que Shein, plateforme de fashion qui cartonne ?   Peut-être pensez-vous que ce parallèle est extrême, mais certains acteurs ont déjà investi ce marché comme https://notsodark.com/fr/home, lançant davantage une franchise de type dark kitchen.  Concernant la logistique, inutile de s'en tenir aux Uber Eats, il y a de plus en plus d'initiatives locales plus respectueuses des personnes, de l'environnement comme le projet #CULT de TRI-VIZOR, orchestrer des partenariats horizontaux en logistique pour le dernier kilomètre en ville. A nous de dynamiser ces initiatives.   Ma dernière remarque concerne la plateforme elle-même, inspirée du retailtainment : utiliser la plateforme pour commander pour apprendre, jouer, deviner, vous inspirer pour la prochaine fois que vous cuisinerez vous-même.

Il pourrait y avoir plus de recommandations naturelles que de recherche spontanées… Cela augmente considérablement la rétention et la conversion, brouillant les frontières entre le contenu, la communauté, les jeux, les événements. Une occasion d'ajouter l'éducation et le changement de comportement. Est-ce trop naïf ? Lors d’une récente conférence, quelqu'un m'a dit que nous n'avions pas besoin d'espoir mais de courage pour adopter les changements… qui peut avoir le courage de faire passer ce type de cuisine du dark au bright ?

Fleur Parnet