Après avoir constaté l'échec des consultations sociales avec la direction de Delhaize, les syndicats socialistes et libéraux ont déposé lundi un préavis de grève qui expirera dans deux semaines. « Vu l'attitude de la direction, je ne pense pas qu'elle reviendra à la table des négociations d’ici là », déplore Myriam Delmée.

Delhaize a procédé en 2014 à une grande restructuration qui a entrainé le licenciement de quelque 2.000 employés. Afin de compenser les départs, une nouvelle organisation du travail plus efficace devait être mise en place. Le SETCa a signé en 2018 une convention collective de travail en ce sens, avant de finalement dénoncé celle-ci au printemps dernier au motif que la direction de Delhaize n’avait pas respecté les accords conclus. Le syndicat socialiste s’était encore donné l’été pour parvenir à un accord, en fin de compte sans succès. Les deux ultimes semaines de préavis avant la grève peuvent-elles encore permettre de débloquer la situation ? La présidente du SETCa, Myriam Delmée, ne le pense pas. « Au vu de l'attitude affichée par la direction, je ne pense pas que ses négociateurs se remettront autour de la table. S'ils étaient intelligents, c'est ce qu'ils feraient, mais je doute de plus en plus du fait que les interlocuteurs que nous avons en face de nous aient vraiment quelque chose à dire chez Delhaize. Un des points qui est dramatiquement important en Belgique, et ce n'est pas propre à Delhaize, c’est que nous devons négocier avec des personnes qui n'ont strictement rien à nous dire et qui sont simplement des presse-boutons. » Contacté par nos soins, le porte-parole de Delhaize, Roel Dekelver, s’est pour l’heure cantonné à une courte déclaration : « Nous regrettons le résultat des consultations. Mais, comme toujours, nous restons attachés à un dialogue social constructif et espérons trouver une solution de cette manière. »

La Belgique, une simple variable d’ajustement ?

Selon Myriam Delmée, notre pays ne serait donc plus désormais qu’un petit territoire au sein de grands groupes étrangers, qui ne comprennent pas toujours la culture belge de la concertation sociale et qui voient parfois le personnel belge comme une simple variable d’ajustement. Une réalité qui expliquerait en partie pourquoi les négociations entre syndicats et directions dans la grande distribution ont échoué cet été. « Nous n’avons pu négocier pratiquement nulle part cet été, et nulle part nous n’avons abouti à des solutions. Que ce soit chez Delhaize, où nous avions dénoncé la convention sur l'organisation du travail. Que ce soit chez Carrefour, où nous négocions une nouvelle organisation du travail. Que ce soit chez Lidl, où les discussions patinent joyeusement depuis des mois. De plus, tous sont passés en mode guerrier par rapport aux prix. Par conséquent, le budget disponible qu'il pourrait éventuellement y avoir est redirigé vers les tarifs et les solutions à court terme plutôt que dans un investissement en faveur d’un modèle de magasin qui parviendrait à un équilibre entre chiffre d'affaires et bien-être du personnel. »

Un modèle à bout de souffle ?

Bien sûr, le contexte économique des derniers mois - guerre en Ukraine, inflation galopante, baisse du pouvoir d’achat des citoyens, guerre des prix, etc. - a encore compliqué la situation pour les retailers. Mais face à cela, Myriam Delmée dénonce « une inaction » des enseignes qui en devient « inquiétante ». « Leur seule réaction a été une démarche commerciale, et ce alors que leurs factures d'énergie explosent littéralement. Les frais de fonctionnement des frigos par exemple deviennent totalement ingérables. Alors oui, les enseignes sont en train de remplacer les frigos les plus énergivores là où c’est possible… Mais c'est à peu près le seul type de mesures qui sont prises en la matière. C'est un peu comme mettre des sparadraps sur des jambes de bois, ce n'est pas ça qui va améliorer durablement les choses. » Et pourtant, il y a du pain sur la planche dans le secteur, passe en revue la responsable syndicale. « Le fléau de l’e-commerce, les problèmes d'acheminement des marchandises, les négociations avec les fournisseurs, les problèmes logistiques, etc. On en arrive à avoir des magasins qui ne sont plus nécessairement bien tenus, avec des coûts qui explosent, et sans qu'il n'y ait un quelconque dialogue à ce sujet à l’échelle du secteur pour tenter d'identifier comment répondre à ces défis qui s’accumulent. » C’est pour cette raison que la présidente du SETCa appelle l’ensemble de la chaine de production, « de la fourche à la fourchette », à prendre part à une table ronde sur l’avenir du commerce. « On revient toujours avec des slogans comme ‘Nous devons réinventer le commerce’. Malheureusement, je pense que cela n'a jamais été aussi vrai qu'aujourd'hui. Il faut s’attaquer à toute une série de défis qui ont été exacerbés ces derniers mois, mais qui existent depuis longtemps. Repenser la chaine dans son ensemble pour qu’elle soit viable pour chaque intervenant, trouver le juste équilibre et adapter les process pour qu’ils répondent aux nouvelles réalités. »

Sans un tel travail de fond, Myriam Delmée craint le pire pour l’avenir du secteur. « Nous venons d’assister à la mise en bière de Makro. Pour moi, il s’agit de la première d'une série qui ne sera pas négligeable. On constate que bon nombre d'enseignes, qu'il s'agisse de franchisés ou d'intégrés, sont aujourd’hui à la limite de la survie. Plus inquiétant encore, les visions stratégiques ne visent actuellement qu'à maintenir une certaine rentabilité dans un modèle qui est à bout de souffle. Ou en tout cas qui a du mal à survivre puisque plus aucune enseigne ne s'en sort véritablement bien. » Selon la présidente du SETCa, sans changement, d’importantes restructurations et réorganisations deviendront alors inéluctables, avec les travailleurs comme première variable d’ajustement. « On entend également les sirènes des partis de droite qui plaident pour doper le travail étudiant, voire les flexi-jobs. Mais notre crainte à cet égard est double. D’une part, on aiderait ce type de sous-emploi à se substituer à un emploi de qualité que l’on ne donnerait plus à un autre travailleur, par exemple à temps partiel. Et d’autre part, ce serait continuer à mettre des sparadraps en offrant aux entreprises la perspective de proposer des jobs à moindre coût, mais sans remise du modèle dans son ensemble. Ce serait simplement reculer un petit peu le mur, sans pour autant freiner la course qui nous y amène droit dedans. »