Alibaba, et non Amazon, est la plus grande hantise des retailers et des e-commerçants. À juste titre, estime Jonathan Holslag. “Les retailers de notre pays feraient bien de se réveiller. Ils courent à leur perte.”

“Jack Ma, le CEO d’Alibaba, se présente volontiers comme un entrepreneur visionnaire”, observe Jonathan Holslag, fin connaisseur de la Chine. “Et il n’a pas tout à fait tort. Il utilise très intelligemment la technologie et réussit peu à peu à rendre le secteur bancaire obsolète avec son système de paiement Alipay. Ce sont là des mérites qu’il faut bien lui reconnaître. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue qu’Alibaba est aussi et surtout fortement soutenu par l’État chinois, qui ferme le marché local à la concurrence. Cela représente un marché de pas moins de 1,4 milliard de consommateurs potentiels, de quoi permettre à l’entreprise de réaliser des bénéfices colossaux. Des gains qu’elle peut ensuite employer pour conquérir les marchés étrangers et évincer les acteurs locaux. Tout cela n’est pas le fruit du hasard. Il s’agit d’une stratégie politique et économique mûrement réfléchie. Avec Alibaba, l’État chinois dispose d’une arme redoutable dans la guerre commerciale qui l’oppose à l’Europe et au reste du monde. Et on peut en dire autant de JD.com.”

Les choses se présentent donc mal pour le retail belge et européen ?

Très mal. L’heure est grave. Nous assistons à ce qui se passe sans rien faire. La Chine en a assez d’être ‘l’atelier du monde’ et de produire à faible coût des produits pour des entreprises étrangères telles qu’Apple, dont le prix final était fixé par ces entreprises et les retailers. C’est fini tout ça. Aujourd’hui, ce sont les Chinois qui nous proposent directement leurs produits à des prix plancher. Les retailers de chez nous ont trouvé plus forts qu’eux. Et ce n’est qu’un début. Je me demande si le secteur se rend bien compte de ce qui l’attend.

Vous n’hésitez pas à parler de guerre.

Absolument. Et cette guerre fait rage depuis longtemps, depuis les années 70 déjà. Mais l’essor de l’e-commerce lui a donné un coup d’accélérateur. La Chine a supprimé les barrières au commerce et a parallèlement dévalué sa monnaie et octroyé des centaines de milliards de crédits pour soutenir les exportations. C’est l’une des raisons qui permettent à Alibaba d’inonder notre marché de produits aux prix ridiculement bas. Alibaba a en contrepartie promis de proposer les produits belges en Chine et de nous servir de porte d’entrée vers le marché chinois, mais en volumes, tout cela reste dérisoire.

Nous sommes trop naïfs ?

Disons que nous sommes trop prompts à croire les promesses qu’on nous fait. De nombreuses figures politiques font preuve d’ignorance et de courte vue quand il s’agit d’Alibaba, et de JD.com. L’importation massive de produits bon marché représente peut-être à court terme un bon moyen d’augmenter le pouvoir d’achat mais, à plus long terme, elle détruit ce pouvoir d’achat en sabotant la valeur ajoutée et l’emploi dans notre propre pays. On serait pourtant en droit d’attendre des politiques qu’ils réfléchissent sur le long terme.

Le retail belge a-t-il lui aussi des reproches à se faire ?

Oh que oui ! Bon nombre de retailers se sont rués sur l’occasion de troquer les produits européens contre des produits chinois bon marché leur assurant des marges bénéficiaires plus confortables. Le secteur s’est engagé dans une course à l’abîme dont il se retrouve aujourd’hui victime. Un véritable tsunami s’apprête à déferler sur nous.

Que pouvons-nous faire pour inverser la tendance ?

Le secteur du retail doit se demander ce qu’il peut faire pour soutenir l’industrie manufacturière et l’agriculture nationales. Et ce dans son propre intérêt. Les retailers sont en train de détruire leur propre potentiel client. Il est grand temps qu’ils s’interrogent sur le rôle qu’ils veulent tenir. En choisissant la voie du nivellement par le bas, nous détruisons notre propre marché. La classe politique doit elle aussi se remettre en question. Les politiques se laissent trop facilement embobiner par les fausses promesses et attentes d’Alibaba. Il faut bien comprendre qu’Alibaba est un loup déguisé en agneau. C’est une arme dans la guerre commerciale agressive menée par l’État chinois. De plus, les entreprises comme Alibaba et Amazon n’assument pas les frais qu’elles engendrent, mais les font payer par la société. Le coût social de l’e-commerce dans le domaine du transport par exemple est énorme. Le moment est venu d’œuvrer en faveur d’un marché plus correct et plus équilibré.