Que faire de cette pandémie qui assume enfin son nom, une fois passé le temps des pudeurs, celui du souci de ne pas nourrir le feu de la panique, celui de l'humour noir aussi, souvent bien intentionné, et tout aussi souvent mal compris?

Chacun réagit avec ses armes, sa propre sensibilité, ses haussements d'épaules ou ses regards méfiants.  Comment traiter cette actualité, quand on est un magazine professionnel, qui se consacre très spécifiquement à celle qui traverse l'univers de la grande distribution? 

Au début, à la rédaction, on faisait comme tout le monde: on dressait l'inventaire. Nos confrères de la presse généraliste livrent jour après jour celui des nouveaux cas déclarés, continent par continent, pays par pays, décliné en élégantes infographies. Nous aussi, chez Gondola, nous avons tâché de rester factuels et sobres. Mettre des chiffres sur ce qui se passe: +500% de croissance pour tel produit, + 40% pour le tel autre. La belle affaire… 

La véritable information est qu’il n’y a aucune famine à craindre. Nous aurons dans les jours qui viennent davantage envie d’expliquer comment le commerce s’organise pour maintenir le service, et dans le calme. Y compris en anticipant d’éventuelles situations plus épineuses. Une rupture momentanée de pâtes ou de riz en rayon, franchement, ce n’est pas critique. Mais faire tourner un magasin ou un dépôt si une partie du personnel qui le sert est lui-même confiné à domicile, cela demanderait plus de boulot et d’ingéniosité. Le métier se prépare à tous les scénarios, et les clients ne souffriront pas de la faim. On leur réclamera simplement un peu d’indulgence. 

Elle n’est pas forcément acquise: nous n’avons par exemple pas reproduit les témoignages de membres du personnel de plusieurs supermarchés nous décrivant la rage de certains clients face à l'indisponibilité du fameux flacon de gel hydroalcoolique, l’icône du moment. Bien sûr, la formule du miraculeux liquide en rupture de stock a pour elle davantage d'arguments scientifiques que la bouteille d'eau bénite ramenée autrefois de la grotte de Lourdes. Mais il reste pourtant une part d’irrationnel, comme un acte de foi.

Les gens ne sont pas rassurés, nous dit-on. Ils veulent “savoir”. Sont-ils prêts à entendre l'honnêteté de la seule réponse qu'on peut décemment leur offrir aujourd'hui? Personne ne sait vraiment, ce qui ne veut pas dire que l’on ne s’organise pas pour tâcher de comprendre. Personne ne peut prétendre à les rassurer totalement, à l'exception du pitoyable père Ubu de Washington, toujours prêt à sacrifier la science, la méthode, la décence et la vérité, si ça sauve la mise au Dow Jones et à ses sondages. 

“Lockdown”: le mot circulait avec insistance depuis le début de la journée, et le retard mis à annoncer ces nouvelles mesures plus strictes fournit l'indice de longs débats pour tâcher de trouver une réponse proportionnelle. Après les professions médicales, la grande distribution alimentaire est un des métiers les plus mobilisés pour faire face à la crise. La fermeture des établissements horeca ne risque pas de freiner la forte demande de marchandises alimentaires.  "Ne videz pas les rayons des supermarchés", demande à juste titre Sophie Wilmès en appelant à la solidarité et la responsabilité. On aimerait croire qu'elle soit entendue.