Présenté lundi matin en conseil d'entreprise, le nouveau plan commercial construit pour Makro a ensuite été partagé avec quelques membres de la presse par Vincent Nolf, CEO  de Metro et de Makro en Belgique. Si le groupe réinjecte des moyens supplémentaires destinés à la communication, il fixe aussi l'obligation de stopper l'érosion de clientèle à court terme, et même de recruter 45.000 clients en 2019.

L'entretien que Vincent Nolf a accordé ce lundi à quatre membres de la presse avait été bien préparé, et chaque mot soupesé. L'image qu'il utilise pour nous décrire la situation de Makro, celle d'un malade entrant aux soins intensifs, n'est pas choisie à la légère. Elle ne fait d'ailleurs que confirmer le sentiment du marché face aux  nouveaux résultats préoccupants enregistrés l'an passé par l'enseigne cash & carry, en dépit du plan de repositionnement qui avait opéré voici deux ans des choix radicaux. Celui-ci avait acté l'abandon du périmètre électro, désormais géré par Media Markt dans un shop-in-the shop, et redéfini des positionnements et rayons sur lesquels l'enseigne pourrait exprimer sa différence: une offre alimentaire de haut niveau, apte à séduire les amateurs de cuisine, la cible des "crafters", entre corps de métier pro et bricoleurs amateurs, les articles destinés à la fête, et ceux destinés à la déco.

Avec une grande transparence, Vincent Nolf procède au bilan de santé, et celui-ci est très contrasté. Metro, et ses 11 magasins couvrant le marché foodservice, poursuit sa croissance (5% en moyenne au cours des trois derniers exercices). Et seul l'impact financier des ouvertures de magasin fait passer en 2017 légèrement dans le rouge (€3,9 millions) un EBITDA positif au cours des deux exercices précédents. Pour Metro, les fondamentaux sont sains, la part de marché progresse (passant en 3 ans de 25% à 28%) et les perspectives prometteuses. Chez Makro en revanche, la situation continue de se détériorer: Le chiffre d'affaires est passé, en trois ans de 567 millions à 482 millions, perdant en moyenne 9% par an. Certes, l'électro est entretemps sorti de l'assortiment, mais la baisse de chiffre d'affaires se manifeste de façon générale: le chiffre d'affaires sur l'alimentaire est par exemple passé de 338 millions en 2015 à 273 millions en 2017. Le constat est rude: le plan de 2016 n'a pas permis de stopper cette tendance, qui touche tous les indicateurs: perte de clientèle (-5%, sur un périmètre d'environ 900.000 clients), fréquence d'achat moindre, et panier moyen en recul.

Le diagnostic

A quoi l'attribuer? Dans son diagnostic, Vincent Nolf n'oublie pas une tendance lourde du marché, qui pénalise les hypers et favorise les magasins de proximité. C'est particulièrement vrai pour Makro, dont plus de 50% des clients doivent parcourir un trajet de plus de 20 minutes pour se rendre dans l'un des 6 magasins. Et plus la distance est grande, plus l'érosion de clientèle se confirme. Mais c'est plus fondamentalement une crise d'identité que traverse l'enseigne, ainsi que le révèlent les études menées auprès de la clientèle. Les clients acquis se disent déçus des effets du plan précédent, baptisé VCP 1.0 en language interne (pour Value Creation Plan), où ils ne retrouvent plus ce qu'ils ont connu. Quant aux prospects, ils peinent à identifier un argument fort capable de les attirer.

Le diagnostic identifie donc à la fois un problème d'identité, une communication défaillante, et un déficit de proximité. Face à une situation qui se dégrade rapidement, il y a urgence à intervenir. Et c'est ici que Vincent Nolf utilise l'image médicale des soins intensifs: "On examine bien entendu l'évolution du patient à moyen terme, mais on se préoccupe aussitôt du court terme. L'année 2019 sera cruciale pour Makro." En clair, le groupe a choisi de débloquer des moyens en hausse pour appuyer le nouveau plan commercial, avec un budget marketing en croissance de 20%. S'il n'espère pas un retour rapide à la rentabilité, il impose pourtant une condition sans laquelle cette perspective ne pourra jamais se concrétiser: il faut non seulement stopper l'hémorragie de clients, mais en recruter chaque année 45.000, soit environ le contingent que l'enseigne a perdu au cours de chacun des derniers exercices. Il est tout aussi impératif d'améliorer la fréquence de visite et d'améliorer le panier moyen.

Acheter comme un pro

Avec quels arguments Makro entend-il convaincre ces nouveaux clients? Essentiellement avec une promesse bien plus exclusive qu'aujourd'hui. "Dire au consommateur qu'il peut trouver réponse à tous ses besoins chez Makro, c'est bien le minimum, mais ça ne forme pas une raison spécifique de venir, tout juste une raison de rester" commente Vincent Nolf. "Le message que nous allons lui adresser sera proche de 'Buy like a pro', même si ceci ne forme pas nécessairement de façon littérale notre prochain slogan." Cet esprit "prosumer" était déjà sous-jacent dans le plan commercial précédent, mais la logique va être accentuée. "On ne trouve par exemple que 50% de l'assortiment Metro chez Makro. Nous allons pousser cette proportion bien plus loin, et faire en sorte que cet assortiment pro soit bien plus visible qu'aujourd'hui, en magasin et dans la communication." Metro conservera cependant ses éléments de différenciation. Pas question par exemple de proposer au grand public les vins fournis aux professionnels de l'horeca, qui se doivent d'être exclusifs et de ne pas permettre de comparaison avec le tarif pratiqué en restaurant.

Le nouveau plan mêle les logiques B2B et B2C sur d'autres univers, comme celui des "craftsmen", qui attire déjà les corps de métier du bâtiment, et justifie la présence d'un assortiment pro. Le client peut par exemple trouver au rayon "power tools" à la fois la gamme "bleue" (pro) de Bosch et la gamme verte (hobby). Le DIY est d'ailleurs un rayon en croissance chez Makro, contrairement à l'évolution du marché global.

Achats en volume et pertinence locale

L'analyse du feedback de la clientèle a aussi convaincu Makro de retrouver une séquence de son ADN un peu effacée, celle des achats de gros volumes. Ce qui avait fait perdre du terrain à l'enseigne sur des clientèles spécifiques que sont les associations, les mouvements de jeunesse, etc. Un retour qui n'ambitionne pas de se traduire par un recrutement massif de clientèle, mais qui devrait déjà profiter au panier. Il suppose aussi qu'on fasse de la place à ces conditionnements larges, et des arbitrages ont été posés, qui verront certaines catégories perdre en envergure. C'est le cas du fitness, mais aussi de l'univers home & déco, un des axes du plan précédent, qui n'a pas tenu toutes ses promesses. Sur d'autres rayons, comme le textile et la librairie, c'est le statu quo. Faute d'être des vecteurs de trafic, ces univers profitent malgré tout bien de la présence des shoppers en magasin, et tout particulièrement sur les chaussures ou les guides de voyage, de vrais axes forts.

On l'a vu plus haut, la distance est pour Makro un handicap. A contrario, l'enseigne veut travailler la zone de chalandise directe de chacun des 6 magasins pour y trouver des arguments incitant la clientèle locale à les visiter plus fréquemment, pour des achats plus quotidiens. A titre d'exemple, sachant que 40% de la population proche du magasin de Lodelinsart a des racines italiennes, un sourcing spécifique a été construit auprès de Metro Italia pour proposer des références gastronomiques à marque propre venues directement de la péninsule.

Obligation de résultat

Enfin, un chantier s'ouvre pour restituer à la carte client une perception d'avantage exclusif. Makro va aussi communiquer davantage, y compris avec un folder transformé pour mieux exprimer sa promesse d'achat "comme un pro". Les actionnaires lui en ont donné les moyens, sur base de la mise en place du nouveau plan commercial. Mais avec cette obligation de stopper l'érosion de clientèle, et même de recruter dès 2019. Comment le personnel a-t-il accueilli ces mesures lors du conseil d'entreprise? Vincent Nolf parle d'un relatif soulagement, puisque l'hypothèse d'une nouvelle vague licenciements qui avait été publiquement redoutée par les syndicats face à la dégradation des résultats n'est pas à l'ordre du jour. "Il n'y a de toute façon plus vraiment de gras dans les coûts," commente Vincent Nolf, "sauf à mettre en danger le minimum nécessaire à garantir l'opérationnel." L'enjeu de cette reformulation stratégique est donc majeur, et pas seulement pour Makro. Si Metro poursuit sa success story sur le marché foodservice, celle-ci profite aussi des effets d'échelle et mutualisation des volumes d'achat qu'autorise son cousinage avec Makro.