La cession des 3 enseignes au Luxembourg n'est pas une surprise : après avoir vendu Cora Roumanie, puis Cora et Match France à Carrefour, on savait que le groupe louis delhaize négociait une revente au Luxembourg. L'identité du repreneur, elle, est une surprise : encore un nouvel acteur attiré par le gâteau luxembourgeois. Et bien entendu, cet épisode rend plus légitimes que jamais les interrogations à propos de l'avenir de Cora et Match en Belgique.

Ça n'a pas trainé. Voici une semaine jour pour jour, nous évoquions dans un papier d'analyse l'existence de contacts entre le groupe louis delhaize et de potentiels repreneurs de son réseau luxembourgeois comprenant 2 hypermarchés Cora, 12 supermarchés Match et 13 magasins de proximité Smatch. Tous les points de vente luxembourgeois devraient être alimentés par la centrale Leclerc de la région Est du distributeur français, et le transfert de propriété devrait se faire rapidement, au dernier trimestre 2023.

La vente est tout sauf une surprise, au contraire de l'acquéreur

De telles hypothèses avaient déjà bien failli se concrétiser auparavant. Delhaize, en particulier, engagé dans un important développement de son réseau grand-ducal, avait dans le passé formulé une offre pour les supermarchés disait-on, mais manifestement pas suffisante. C'est qu'il est on ne peut plus convoité, ce marché grand-ducal, qui, au-delà des 660.000 résidents locaux, sert aussi la clientèle plus large des transfrontaliers, travaillant au Luxembourg, mais habitant en Lorraine française, en Gaume belge, ou encore en Allemagne. Signe distinctif : une fiscalité favorable et un pouvoir d'achat confortable, favorables aux paniers et aussi aux marges. Au 'local hero' Cactus sont progressivement venus s'ajouter de nombreux concurrents étrangers attiré par ce microclimat si prospère : Cora et Match, mais aussi Auchan, Delhaize, Aldi, Lidl, Colruyt… Le prix du foncier au Luxembourg est sans surprise très élevé, et y développer un nouveau projet de magasin, dans un endroit porteur, est tout sauf évident. Plusieurs enseignes concurrentes pouvaient être intéressées. Mais rares étaient celles qui étaient sans doute prêtes à non seulement y mettre le prix, mais aussi à englober tous les formats, de la proximité à l'hyper.

E. Leclerc était manifestement prêt à la faire, puisque cette variété de formats s'exprime déjà dans son réseau français, et cette reprise totale rendait son offre particulièrement intéressante. Mais l'identité du repreneur n'en constitue pas moins une vraie surprise. A la faveur de cette opération, le leader du marché français s'invite à la table très convoitée et passablement encombrée du commerce alimentaire luxembourgeois. «Pour l’enseigne E.Leclerc, cette opération permettra de renforcer sa présence sur un marché européen concurrentiel, sur des formats qu’elle maîtrise et dans un pays où elle n’était pas encore présente», commente le distributeur français.

Roumanie, France, Luxembourg : la famille Bouriez a clairement décidé de se désengager du mass retail alimentaire. Cette actualité étrangère-là concerne donc évidemment le marché belge. A moins qu'on ne décide une fois pour toutes que la seule préoccupation qui mérite qu'on s'en inquiète est l'exploitation en franchise.

Christophe Sancy

L'autre objet d'étonnement est de voir un réseau de magasins majoritairement intégré absorbé par un champion européen du commerce indépendant sans que ceci ne provoque aussitôt de questions sur le modèle d'exploitation pratiqué à l'avenir, ni ne soulève une tempête syndicale. Les syndicats luxembourgeois ont à ce stade seulement pris acte de la volonté affichée par E.Leclerc de maintenir la totalité des effectifs actuellement employés par ces enseignes au Luxembourg. Est-ce dû aux conventions collectives plus homogènes du Luxembourg ? On ne trouve pas de trace en tout cas d'une réaction immédiate de type "tout sauf la franchise". Le dire, ce n'est pas vouloir adresser des sarcasmes au monde syndical belge, dont c'est le bon droit que de ne pas souhaiter l'essor d'un type de commerce qui leur laisse moins de voix au chapître. Mais la pire menace pour les salariés du commerce alimentaire est-elle vraiment de travailler pour un franchisé ?

Voici une semaine, nous nous posions déjà la question de savoir ce qu'il adviendrait des enseignes du groupe louis delhaize en Belgique, une fois que leurs équivalents seraient successivement cédées en Roumanie, en France et au Luxembourg. Nous y voilà déjà. Où trouvera-t-on repreneur(s) pour Cora et Match Belgique, qui n'affichent pas la même santé que leurs cousins désormais vendus ? Et si d'aventure on en trouvait un ou plusieurs, ferait-on la fine bouche s'ils pratiquaient la franchise ? Préférerait-on croire à une stratégie rétrécie au lavage, recentrée sur la seule Belgique, en s'attendant à ce que la famille Bouriez, qui a clairement décidé de tourner la page du mass retail alimentaire, fasse une notable (et déficitaire) exception en Belgique et y consacre soudain les moyens considérables qu'elle avait l'an passé choisi de ne finalement plus investir ? Cora, Match, Smatch (très élégamment converti en louis delhaize), Delitraiteur et Provera ont toutes leurs positionnements, performances, handicaps ou atouts propres. Mais dans le retail de 2023, le statu quo n'est plus permis, et le brouillard n'est pas rassurant.  Tôt ou tard, écrivions-nous voici une semaine, le groupe louis delhaize, qui a légitimement le droit d'ajuster sa stratégie aux conditions du marché, devra évoquer les pistes possibles pour ses fililales belges. C'est plus vrai que jamais. A moins qu'on ne décide une fois pour toutes que la seule chose qui mérite qu'on s'en inquiète est l'exploitation en franchise.