Des négos assez rudes sur les prix, c'est courant. Des blocages aboutissant à des ruptures en rayon, ce n'est pas si rare. Mais la situation actuellement en cours chez Colruyt illustre bien la tendance du marché : les retailers veulent rapidement prouver à leur clientèle que les prix peuvent redescendre, quand des fournisseurs souhaitent encore répercuter, plus ou moins tardivement, des hausses de coûts.

Ce n'est pas la première fois, pour ce qui concerne Colruyt et Mondelez. Et ce n'est probablement pas la seule discussion un peu musclée à prévoir sur le marché, entre distributeurs et fournisseurs. L'inflation a exercé un impact rapide et important sur l'assortiment de la grande distribution alimentaire, et d'une façon totalement inédite pour plusieurs générations de consommateurs, habitués à des hausses de prix bien plus lentes et indolores. Refuser les hausses de prix réclamées par les fournisseurs n'était pas tenable : le contexte économique, avec la crise énergétique, la hausse des matières premières et l'indexation des salaires, devait évidemment se répercuter sur le prix en rayon. Les retailers ont toutefois veillé à négocier pour que ces hausses soient bel et bien justifiées. Et ils ont aussi manifesté leur volonté de vigilance : si les coûts venaient à se tasser, il conviendrait aussi de baisser les prix. Plusieurs enseignes ont d'ailleurs récemment communiqué sur ce thème, à l'image de Carrefour (baisse de 100 produits, y compris des marques nationales), Aldi (plus de 400 produits) et Lidl (250 produits).

Manifestement, cette discussion ne se passe pas dans le sens voulu, pour ce qui concerne Colruyt et Mondelez, et des feuillets signalant l'indisponibilité de produits de ce grand fournisseur ont fleuri en rayon chez le leader du marché. Qui s'est chargé lui-même de nous l'expliquer , par l'intermédiaire d'Eva Biltereyst, responsable presse, et dont nous reproduisons ici intégralement les propos: "Un accord annuel, pour toute l'année 2023, a été signé avec notre fournisseur Mondelez, qui fournit des marques telles que Lu, Oreo, Milka, Belvita, Côte d'Or, Stimorol et Philadelphia. Malgré l'accord conclu, Mondelez nous a informés qu'il souhaitait appliquer une nouvelle hausse substantielle des tarifs. En tant que Colruyt Group, nous ne sommes pas d'accord avec cette nouvelle demande d'augmentation de prix. Nous estimons qu'il est extrêmement important d'examiner cette question d'un œil très critique, car nous sommes le maillon de la chaîne qui doit protéger le portefeuille des consommateurs, en particulier en tant qu'acteur pratiquant les meilleurs prix.

"L'année dernière, la hausse des prix de l'énergie et des matières premières a constitué une situation exceptionnelle. À l'époque, il était clair que des situations exceptionnelles appelaient des mesures exceptionnelles, et nous nous sommes donc assis autour de la table avec nos fournisseurs pour voir comment nous pouvions garantir conjointement que chaque maillon de la chaîne apporte une contribution proportionnelle à ses capacités, le groupe ayant tout intérêt à veiller à ce que cela reste également faisable pour ses fournisseurs."

"Aujourd'hui, la situation est complètement différente et de fortes augmentations de tarifs ne sont plus justifiables pour nous. D'une part, l'élément inattendu n'existe plus. Les fournisseurs, tout comme nous, ont pu se préparer à l'augmentation des postes de coûts ayant un impact durable, tels que les coûts salariaux. D'autre part, nous constatons que les prix de l'énergie et des matières premières sont en baisse. De sorte que nous estimons qu’une réduction des prix serait plus justifiée." 

"Actuellement, nous n'avons pas de produits Mondelez en stock et cela se remarquera également dans nos magasins Colruyt Meilleurs Prix et OKay. Toutefois, nous disposons d'un large éventail de produits de qualité provenant d'autres marques connues et de marques propres, et nous mettons à disposition un certain nombre de produits de substitution afin d'offrir un choix suffisant à nos clients. En outre, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour résoudre la situation. Nous maintenons cependant notre position, à savoir que nous voulons avant tout protéger le portefeuille de nos clients et que cela reste notre priorité absolue."

Mondelez : "Chercher une solution constructive" 

Si Mondelez a souhaité s'exprimer face à cette situation et aux arguments publiquement formulés Colruyt, l'entreprise le fait de façon assez soft, afin de manifester sa bonne foi. Ce que semble évoquer l'entreprise, c'est une hausse de coûts calculée sur une longue durée, non encore répercutée, et que les baisses de cours de matières premières récentes ne suffisent pas à compenser.Comme ce fut déjà le cas dans le passé avec d'autres grands fournisseurs tels que Danone, Mondelez souligne que si le désaccord actuel aboutit effectivement à l'indisponibilité de certains produits en rayon chez Colruyt, la négociation se poursuit bel et bien afin de trouver une issue constructive. Ici aussi, nous reproduisons la formulation exacte transmise par Mondelez :

"Comme beaucoup d’entreprises du secteur de l’alimentation et de la distribution, Mondelez est confrontée à une conjoncture instable et sans précédent sur le marché. Les coûts ont augmenté de manière significative et Mondelez n'est malheureusement pas épargnée."

"Comme toutes les entreprises du secteur alimentaire, nous ressentons actuellement les effets d'une inflation persistante. Bien que certains coûts soient heureusement en train de diminuer à nouveau, nos coûts de production globaux ont augmenté de manière significative en raison de la hausse des prix de l'énergie, du transport, des matériaux d'emballage et de certains ingrédients. De plus, l'instabilité de la chaîne d'approvisionnement a également un impact sur nos coûts."

"Les consommateurs sont également confrontés à une augmentation des coûts. Nous essayons donc d'absorber nous-mêmes cette augmentation dans la mesure du possible, car notre priorité reste de garder nos marques à des tarifs aussi abordables que possible, sans compromis sur le goût et la qualité des produits. Le fait d’augmenter les prix est toujours un choix posé en dernier recours, cependant, nos coûts ont augmenté de manière significative sur une longue durée. C'est pourquoi, dans ce climat instable, nous sommes contraints de procéder à des augmentations de prix sélectives dans nos catégories."

"Les discussions annuelles avec Colruyt n'ayant pas encore abouti, il est possible que certains de nos produits soient temporairement indisponibles dans leurs magasins. Nous continuons à travailler de manière constructive avec Colruyt pour trouver des solutions, afin que les consommateurs puissent retrouver leurs produits préférés dans les rayons. Nous nous excusons pour les désagréments que cela pourrait causer."

En France, le gouvernement s'invite dans les négos

Ce contexte un peu tendu n'est pas propre à Colruyt, ni même à la Belgique. En France, les négociations commerciales entre distributeurs et industriels s'avèrent difficiles. La majorité des grands fournisseurs n'envisage pas de baisser ses prix, alors que les distributeurs soulignent que les cours de matières premières telles que les céréales évoluent à la baisse. Encouragées par le gouvernement, les enseignes alimentaires ont mis en place depuis le mois de mars un panier de 2000 produits "anti-inflation", dont le prix aurait baissé de 13% en sept semaines. Et dans ce débat, le gouvernement français a pris fait et cause pour les distributeurs, dont il considère qu'ils font de réels efforts sur leurs marges. En revanche, la Ministre du Commerce Olivia Grégoire déclarait ce matin sur la matinale de la radio RTL que «les grands industriels ont les marges de manœuvre et la trésorerie aujourd'hui pour faire baisser les prix.» S'ils ne le font pas, «on fera du 'name and shame', on citera publiquement les marques qui ne veulent pas négocier à la baisse et je ne suis pas sûre que ça leur fasse de la publicité."