La presse néerlandaise évoquait hier le conflit qui oppose Albert Heijn à Nestlé sur les hausses de tarif qui lui auraient été soumises. Nestlé récuse les chiffres évoqués publiquement par son client, et semble mal digérer le procédé. Va-t-on voir se succéder de telles crispations ?

 La période des négociations commerciales est par nature propice aux désaccords. C’est le propre de toutes les transactions, depuis le touriste qui marchande l’achat de son souvenir dans un souk exotique, jusqu’aux campagnes de ventes d’avions à coups de dizaines de milliards où s’affrontent Airbus et Boeing. Dans la distribution alimentaire, c’est un exercice annuel justifié par l’évolution des structures de coûts des produits concernés. Les uns tentent de préserver leur marge, les autres de se donner les moyens d’être compétitifs, c’est de bonne guerre. Et c’est un exercice où il est cette année d’autant plus difficile d’atteindre un juste équilibre que l’inflation pèse sur les coûts des uns et sur les contraintes budgétaires des consommateurs pour les autres. Parfois, la négo tourne au blocage ou à l’épreuve de force. Mais même dans ces cas-là, il est très rare que les parties concernées se livrent au commentaire, et prennent le public pour témoin. Après tout, on est condamnés à s’entendre, et il y a bien plus de raisons de collaborer sur des perspectives à long terme que de se livrer en public à la scène de ménage.

C’est bien sûr ce qui est étonnant dans le cas du désaccord entre Albert Heijn et Nestlé, où toute la presse néerlandaise, relayée par notre site, reprend les propos du distributeur, qui s’indigne ouvertement que Nestlé lui propose des tarifs en hausse de plus de 20%. Une telle négo en direct, façon téléréalité, avec les portes qui claquent et les reproches face à la caméra, c’est bien rare. Il faut chez nous remonter à plus de dix ans pour retrouver trace du bras de fer engagé par voie de presse et de pages de pub entre Delhaize et Unilever. A l’époque, ce conflit ouvert, au-delà du fond, avait tactiquement servi les intérêts de Delhaize, engagé dans un vaste effort de correction de son image-prix face à Colruyt et au Hard Discount.

Et qui sait, peut-être il y a-t-il une certaine tentation à se montrer théâtral de la part du distributeur néerlandais. Dès hier, on nous confiait chez Nestlé, sans vouloir envenimer la polémique, qu’on réfutait totalement cette prétendue hausse de 20%, voire davantage, et qu’on appréciait encore moins la façon dont Albert Heijn en étalait publiquement l’argument. Un bref communiqué suivit : “Certains médias belges ont relayé aujourd’hui (20 janvier 2022) une information erronée selon laquelle Nestlé aurait décidé d’augmenter les prix de ses produits de 20%, engendrant une pénurie de certains produits Nestlé dans les magasins Albert Heijn. Cette information n’est pas correcte, tant pour les Pays-Bas que pour la Belgique. Il est vrai que nous négocions actuellement les prix avec Albert Heijn. En raison de l'inflation mondiale, une augmentation des prix est inévitable. Mais l'augmentation de 20% annoncée par Albert Heijn dans les médias néerlandais et repris par certains médias belges est loin d'être correcte. Nous regrettons que cette information erronée ait été relayée dans les médias car, par respect pour les négociations en cours avec les retailers, nous ne souhaitons pas communiquer à ce sujet.

Nous pensons qu'avec nos partenaires détaillants, nous devrions travailler à une augmentation responsable des prix qui tienne compte des intérêts de nos consommateurs et de tous les acteurs de notre chaîne de valeur, nos agriculteurs, nos fournisseurs et nos employés.”

Au-delà des chiffres divergents qui sont évoqués, ce qui agace manifestement, c’est le soupçon que le partenaire commercial crée une polémique publique pour se donner le rôle de chevalier blanc, défenseur du budget du consommateur  

Vraiment sincère, Leclerc ?

Au-delà du cas évoqué, ce sont des soupçons qui se multiplient dans la distribution européenne. En France, la décision de Leclerc de baisser le prix de la si emblématique de pain à 29 cents, quand les boulangers la commercialisent autour de 90 cents, et les supermarchés autour de 35 cents, a fait grand bruit et créé la polémique. Et c’était bien l’intention, soulignent les concurrents et les détracteurs de Michel-Edouard Leclerc : voilà une campagne de communication massive à peu de frais, qui valide le rôle de champion du prix attaché à son enseigne, au moment précis où la poussée inflatoire va seulement se manifester en rayon. Un coup de com’ qui n’est pas sans conséquences. Certains concurrents se sentiront obligés de suivre, face au marqueur que représente en France un tel produit : Lidl France a par exemple fait savoir qu’il n’aurait d’autre choix que de s’aligner, tout en le déplorant : "Ce n'est pas très responsable parce que c'est alimenter une guerre des prix destructrice de valeur et c'est envoyer un message dramatique à un monde agricole qui est aujourd'hui en grande détresse.» Et ce n’est pourtant pas fini : après avoir cassé les prix du carburant et des masques FFP2, Leclerc annonce vouloir s’attaquer aux “200 ou 300 produits dont les Français connaissent très bien les prix”. 

Leclerc persiste et signe, et se moque même de Lidl : “Lidl s’est embourgeoisé. Il a oublié d’où il vient. Si je prends le relais pendant que lui s’embourgeoise, ça ne me gêne pas.” Il désamorce tout autant les propos du chef étoilé Thierry Marx, qui le critiquait voici peu dans une tribune dans Libération : “Comme tout le monde, j’entends monsieur Leclerc nous expliquer, une main sur le cœur, l’autre sur le tiroir-caisse, la haute idée qu’il se fait de sa responsabilité sociale. Pourquoi pas. Ce que j’observe depuis plus de trente ans, c’est que le low-cost ne profite qu’aux très riches. Quand de sermons publicitaires en psaume cathodique, on porte l’amour des plus pauvres en bandoulière, on commence par augmenter le niveau de vie des salariés. Pas par baisser le prix du pain pour créer du flux dans les magasins.”