On s’attendait à du changement, mais pas de façon aussi radicale. Tout le marché est secoué par l’annonce de Delhaize intervenue ce matin. Et complétée par les entretiens tenus avec la presse par le CEO Xavier Piesvaux et Illya Van den Borre, en charge des relations sociales.

 

Une surprise ? Le mot est faible : c’est un changement fondamental de paradigme qu’a acté ce matin Delhaize en annonçant son souhait de transférer la totalité de son parc de supermarchés intégrés belges à de futurs exploitants affiliés indépendants. Bien entendu, la récente dénonciation unilatérale par l’enseigne de la convention collective sur l'organisation du travail avait mis la puce à l’oreille. On ne déchire pas un document dont l’encre est à peine sèche – les dernières négociations sur ce sujet datent de septembre dernier – simplement pour le plaisir d'un petit peu de flexibilité en plus en point de vente. Si l'on ose remettre en cause une paix sociale laborieusement négociée, qui plus est dans les conditions de marché délicates actuelles, c'est parce qu'elle repose entre autres sur quelques piliers, qu'on choisit délibérément de cesser de traiter en tabous. En l'occurrence, ces piliers-là, il y en avait deux : pas de compression du personnel jusqu'à l'horizon 2025, et pas de basculement de magasins intégrés vers une exploitation en franchise. C'est plutôt à ce tabou-là qu'on pensait hier, sous une forme limitée. Les sources syndicales évoquaient souvent ce constat posé en réunion par la direction : un quart des supermarchés intégrés n'atteindrait pas le seuil de rentabilité. Mais sans se douter que la mesure ne se limiterait pas aux magasins les moins prospères : c'est le modèle même de Delhaize qui est fondamentalement transformé.

Cette décision,  Xavier Piesvaux ne cherche d'ailleurs pas vraiment à longuement la justifier par une dramatisation excessive des enjeux, dans les entretiens qu'il a accordés ce matin à la presse en compagnie d'Illya Van den Borre, Senior Vice President HR & Corporate Affairs. Pas de précisions sur le taux de magasins déficitaires, ce qui est prudent : on n'attire pas forcément les entrepreneurs avec du vinaigre. Pas non plus de chantage à la faillite, de "c'est ça ou on ferme boutique" ni de "on n'a pas le choix", comme on l'a parfois connu dans d'autres cas. Ce qui est, au risque de choquer les membres du personnel concerné, plutôt digne. Le choix, il existe, et il est au contraire pleinement assumé, et doublement : le seul modèle capable d'aligner durablement Delhaize sur une courbe de croissance, nous dit la direction, c'est celui d'un réseau homogène, exploité par des affiliés indépendants, dont la combativité, l'enracinement local, l'esprit commerçant ont systématiquement prouvé qu'ils performent en moyenne de 15 à 25% au-dessus des succursales. Et quand on soulève l'hypothèse d'une décision imposée par le Groupe Ahold Delhaize depuis Zaandam, après avoir lu l'agacement du patron du Groupe Frans Muller, Xavier Piesvaux répond aussitôt, catégoriquement : "Il s'agit bien d'une décision prise par le Comité de direction de Delhaize Belgique, sur base d'une analyse du marché belge et de sa vision des attentes du client de demain."

L’exploitant indépendant : un profil toujours plus recherché

Cette stratégie-là repose toutefois sur une condition : il va falloir trouver les oiseaux rares, les candidats entrepreneurs disposant à la fois des fonds propres et des compétences pour reprendre ces 128 magasins. Et avec la récente reprise des 86 Mestdagh par Intermarché, c’est potentiellement jusqu’à 214 entrepreneurs locaux suivis par leurs banquiers qu’il faut trouver, très au-delà de ce que tout le marché recrute en 5 ans. Xavier Piesvaux écarte la référence à Intermarché : chaque enseigne a ses caractéristiques et sa gouvernance. Et il se montre très confiant sur la capacité de Delhaize à séduire des entrepreneurs intéressés, que ce soit dans le vivier actuel des affiliés, parmi les cadres de la centrale qui voudraient franchir le pas, ou en-dehors du périmètre Delhaize.