A 44 ans, le nouveau PDG de Carrefour a plus d'un atout dans sa manche: sa jeunesse, son parcours jusqu'ici sans faute, ses succès dans le redressement d'autres entreprises, sa maîtrise du dossier digital, et, plus encore, la confiance d'un actionnaire de référence. Il lui reste à relever d'autres défis: rendre des couleurs aux hypers français, et se construire une légitimité de commerçant en interne.

La désignation ce 9 juin d'Alexandre Bompard à la tête du Groupe Carrefour n'est pas une surprise, tant le patron de Fnac Darty était perçu comme archi-favori à la succession de Georges Plassat. Et les ultimes rumeurs ayant circulé autour d'Alain Caparros n'avaient pas convaincu grand monde. Bien sûr, le patron français du distributeur allemand Rewe s'apprête à céder dans quelques jours les rênes de son enseigne, après 11 ans de règne flamboyant. Mais on voyait mal ce commerçant au tempérament entier rejoindre un groupe où il n'aurait pas eu les coudées totalement franches, et où il convient de gérer de façon diplomatique - ou politique - les relations et les grands équilibres avec les actionnaires. Caparros l'avait d'ailleurs annoncé lui-même: il n'était pas intéressé.

Dès la fin 2016, Georges Plassat s'était activement mis à la recherche d'un successeur. Son mandat ne venait à terme qu'en juin 2018, mais soucieux de préserver sa santé, et conscient de l'émergence de nouveaux défis pour le Groupe, il avait choisi d'anticiper l'échéance. Le bilan de Georges Plassat est certes positif: ce pur commerçant a réaligné le groupe sur ses fondamentaux après les errances un peu mégalomanes de la période Olofsson. Il jouit d'une vraie légitimité en interne, et c'est d'ailleurs au sein même de Carrefour que Plassat aurait sans doute préféré trouver son successeur. Mais il fallait surtout répondre aux attentes des actionnaires de référence, parmi lesquels Bernard Arnault, la famille Moulin (propriétaire des Galeries Lafayette, désormais premier actionnaire du groupe, et représentée par Philippe Houzé) et la puissante famille brésilienne Diniz. Alexandre Bompard était clairement le choix préféré de Bernard Arnault, qui fut à la manoeuvre pour attirer chez Carrefour ce nouveau PDG.

Génération Macron

La trajectoire d'Alexandre Bompard est assez classique de celle des élites françaises, avec une formation à Sciences-Po et à l'ENA, qui mène souvent tout droit vers les antichambres de la politique et de l'appareil d'état. Elle est d'ailleurs identique à celle d'Emmanuel Macron, le tout jeune et brillant Président de la république, qui vient à peine de mettre sans dessus dessous toutes les certitudes et les habitudes de la politique française. En pleine Macronmania, le profil d'Alexandre Bompard est générationnellement et culturellement parfait: jeunesse et ambition, pragmatisme et culte du mouvement. Dans un pays où règne une forte consanguinité entre politique et milieu des affaires, appartenir à ces réseaux est un atout qui permet d'accélérer les carrières, même si celle d'Alexandre Bompard doit aussi et surtout beaucoup à son propre talent. Inspecteur des Finances, puis conseiller du premier ministre d'alors, François Fillon, il effectue dès 2004 un travail remarqué de redressement des comptes de Canal+, avant de prendre la tête de la radio Europe 1, qu'il redynamise. Des succès qui poussent la Fnac à le nommer président fin 2010.  De 2011 à 2017, il va gérer avec beaucoup d'habileté la stratégie d'une enseigne traumatisée par l'émergence du numérique et de l'e-commerce. Son plus haut fait d'armes est sans conteste la conquête de haute lutte de Darty (auquel appartient Vanden Borre).

Le digital et l'e-commerce : un chantier sur lequel Carrefour est précisément en plein travail, après une série de rachats, tels que celui du webshop Rue du commerce. Pour le commerce en général, et les hypers en particulier, l'e-commerce est un redoutable concurrent. Il s'agit donc d'y occuper soi-même une place bien plus affirmée, un impératif stratégique que maîtrise parfaitement Bompard.

Des premiers choix suivis sous la loupe

Mais il faudra aussi rendre du tonus aux hypermarchés français, plongés en plein doute. Plassat, avec son bon-sens de commerçant pur sucre, sa culture de management enracinée dans la réalité du terrain, était équipé pour le faire, fort de la haute estime que lui portaient ses équipes. Succéder à une telle figure du métier et gagner la confiance des équipes sera pour Alexandre Bompard un défi aussi relevé que celui de trouver le bon point d'équilibre dans ses rapports avec des actionnaires soucieux d'être associés aux prises de décision. Entre Fnac-Darty et Carrefour, il y a une énorme différence de taille, de facteur 10, et de vraies différences et spécificités de métier. Pour accéder à la première division, impossible de gouverner seul, sans s'appuyer sur des talents internes rompus aux règles de base du commerce alimentaire. De qui le nouveau PDG va-t-il s'entourer aux postes-clefs, comme par exemple celui de Directeur des hypermarchés France ? Un financier ou un commerçant ? Un gestionnaire ou un fin connaisseur de la maison et du métier? Au sein de Carrefour, on suivra sans doute avec attention ces futures nominations, pour y déceler le système tactique du nouveau coach. Une curiosité qui anime semble-t-il aussi les équipes de Carrefour Belgique, qui se rappellent que l'énergie d'un certain Gérard Lavinay, après avoir bouclé la mutation du réseau des ex-Dia français, est peut-être aujourd'hui quelque peu sous-employée dans le groupe...