Des supermarchés, il s'en ouvre régulièrement, en Belgique. Mais un projet de 2.000 m2, à Bruxelles, et porté par un indépendant, c'est très rare. De quoi justifier la rencontre de Renaud Caeymaex, le patron de cet AD Delhaize flambant neuf, tout récemment inauguré à Evere, et auquel nous avions rendu visite avant que n'éclate la crise du coronavirus. "Une étoile locale est née" titrait notre site web à son ouverture, le 23 janvier dernier. Petite visite du 800e point de vente portant les couleurs de Delhaize sur notre marché.

Ouvrir en tant qu'affilié un supermarché de 2.000 m2, à Bruxelles, deux ans presque jour jour pour jour après avoir inauguré un premier AD Delhaize de 1325 m2 à Merbraine, il faut être plutôt culotté, non? "Il faut sans doute être un peu c... aussi, ça doit être ça", rigole aussitôt Renaud Caeymaex.

Est-on surpris? Pas vraiment, tant le tout récent quarantenaire dégage toute l'énergie de l'entrepreneur indépendant, l'attention au détail et le sens du client propres aux purs commerçants, appuyé sur un savoir-faire développé au cours de 9 ans de travail sur les métiers du frais au sein de la centrale Delhaize.

Ses ambitions, on les connaissait, mais sans nécessairement les assimiler à un projet d'une telle envergure. Renaud Caeymaex ne minimise pas le pari que représente cet AD Delhaize Reyers, mais il tempère pourtant le poids financier qu'il représente à court terme, quand on lui pose la question de la charge du loyer d'un tel navire commercial en pleine capitale. Delhaize est il est vrai premier locataire sur ce projet, et, sans connaître le détail précis du bail de sous-location, le loyer de celui-ci est le plus souvent calculé sur un pourcentage (plafonné) du chiffre d'affaires, ce qui permet d'accompagner progressivement la montée en puissance.

Mais il faut malgré tout l'habiller, l'équiper, le meubler, ce point de vente spectaculaire, et Renaud Caeymaex l'a fait sans compromis, pour en faire un outil de travail à la pointe. Il fut bien aidé dans cette mission, tout comme à Merbraine, par ses partenaires co-investisseurs Grégoire de Streel et Jean Zurstrassen. Deux personnalités du monde économique qu'on ne présente plus. Les fondateurs de Skynet et de Keytrade Bank sont devenus des business angels très courtisés. Mais on les imaginait plus volontiers penchés sur le berceau d'une startup digitale que sur celui d'un commerce alimentaire. Qu'est-ce qui les a convaincus d'investir dans ce projet?

"Je leur ai moi-même posé la question, sachant que vous risquiez de la soulever ! Et leur réponse est double," annonce Renaud Caeymaex en nous présentant pour preuve le texte s'affichant sur l'écran de son smartphone. "D'abord, ils investissent surtout dans les gens, ceux dont ils sentent qu'ils ont un vrai tempérament d'entrepreneur, et vis-à-vis desquels ils croient pouvoir jouer un rôle utile d'aide et d'accompagnement de projet. Et puis ils souhaitent aussi diversifier leur investissements, y compris en se tournant vers des activités plus traditionnelles, telles que celle-ci." Voila qui sonne comme un bel hommage de pionniers de la nouvelle économie digitale envers le magasin physique...

Client des villes et client des champs

Qu'y a-t-il de particulier dans ce projet bruxellois? "Parlons d'abord du trait communs entre le magasin de Reyers et celui de Merbraine: dans les deux cas, on est partis de zéro. Nous sommes un nouvel acteur dans cet environnement. Ensuite, la première différence, c'est que j'ai acquis de l'expérience à travers le premier magasin. Il a aussi été possible de transférer une partie du personnel de Merbraine vers celui-ci, en évitant de démarrer avec une équipe 100% nouvelle. Un sérieux atout que de pouvoir s'appuyer sur des collaborateurs bien formés et connaissant mes standards en matière d'exploitation et de service. L'accueil du client, le 'bonjour' comme un réflexe... Ça m'a épargné six mois par rapport au premier magasin."

L'environnement, lui, est bien différent

"A Bruxelles, les gens ne prennent pas aussi facilement la voiture que dans une zone plus rurale où, quitte à devoir se déplacer pour faire ses achats, ça ne fait pas vraiment de différence de rouler 6 ou 8 minutes pour atteindre son supermarché préféré. Ici, en zone urbaine, c'est différent, la proximité est un critère prépondérant. Mais les premières semaines d'activité sont encourageantes. Sans surprise, dans cette zone où l'on compte pas mal de bureaux, nous avons de nombreuses visites à midi, et nous destinons à cette clientèle toute une offre" on the go" préparée sur place, dans une zone de circuit court placée dès l'entrée. Mais les week-ends ne sont pas en reste, nous avons rapidement franchi la barre des 1.000 clients passant en caisse. La population locale, vient, revient, et comme nous faisons tout pour ne pas la décevoir, elle en parle autour d'elle."

La visite du propriétaire

Ouvert le 23 janvier dernier, l'AD Delhaize Reyers est un projet que Renaud Caeymaex a mené tambour battant, puisque rien ne pouvait se faire avant le délai de 20 jours suivant le dépôt du fameux DIP (Document d'Information Précontractuelle). Ce n'est que fin août que le chantier put être lancé dans ce vaste espace - un ancien garage - voisin d'un Lidl de dernière génération. Une cohabitation que Renaud Caeymaex perçoit presque comme un atout, compte tenu de la nature complémentaire des deux offres.

Renaud Caeymaex fut d'emblée séduit par le potentiel de ce projet. "Il faut rendre hommage à Alain Janssens, du département expansion, qui a eu le flair de de le trouver et le négocier. Bien sûr, sa taille est considérable, et plusieurs hypothèses circulaient, comme celle de n'ouvrir dans un premier temps le magasin que sur une partie de la surface disponible. Quitte à agrandir ultérieurement quand il aurait atteint ou dépassé sa vitesse de croisière. Mais je n'aimais pas trop ce principe. Je voulais d'emblée exprimer au public le confort et la qualité des services que ce magasin entendait leur offrir, sous une forme différente et éloquente. Ce très grand magasin, j'y crois sous la forme que je lui ai donnée, un peu à l'instinct. Comment voudriez-vous que la clientèle y croie si je n'y crois pas moi-même à fond? "

Inutile de dire que le travail accompli en un peu plus de quatre mois tient de l'exploit. Et comme un générique de film, un panneau "rollup"  placé à l'étage vient remercier tout ceux qui ont apporté leur pierre à l'édifice.

Suivez le guide...

Bienvenue à l'AD Delhaize Reyers ! Qu'il vienne de la rue ou des deux niveaux de très généreux parking souterrain, le client arrive dans un lumineux atrium qui théâtralise majestueusement le magasin. Autour de la mezzanine supérieure se répartissent les bureaux. Avec de simples tubes de néon, Renaud Caeymaex a composé un éclairage décoratif qui trouverait presque sa place dans un musée d'art moderne. "J'aurais très bien pu boucher la mezzanine avec  un faux plafond, par souci d'économie. Mais cet atrium, c'est le visage de ce magasin, un temps fort de l'expérience qu'il procure."

Le Royaume du fait maison

La boucherie est une vitrine du savoir-faire du magasin. Exploitée avec Dufrais, elle affiche aussi toute l'expertise dont dispose Renaud Cayemaex en la matière, depuis son travail sur ce rayon lors de sa carrière en centrale, chez Delhaize. On retrouvera donc, comme à Merbraine, des produits de producteurs locaux, comme le boeuf fourni par des éleveurs de Braine-le-Comte ou Ciney.

Mais plus qu'un atelier de boucherie, c'est un outil ultra-complet dont s'est doté le magasin pour pouvoir proposer à la clientèle un large assortiment "fait maison". Atelier de découpe, atelier de cuisson, stock, et deux locaux frigorifiques pour optimiser la préparation, conservation et l'aspect de ce qui est préparé sur place: une première chambre froide ramène très rapidement les préparations venues du four ou du fourneau à une température de 15°C, une deuxième les plonge ensuite sous une température de -2°C.

Autre luxe dont beaucoup de supermarchés risquent d'être jaloux: ce que Renaud Caeymaex appelle son "carwash": un local spécifiquement dédié au nettoyage du matériel.

Out of home

Le magasin s'ouvre sur une belle offre de solutions repas, avec les sushis, et un large choix de salades composées sur place. Chacun de ces deux pôles produits est adossé à un atelier de préparation – encore un – qui lui est spécifiquement dédié.

Mettre en valeur le travail des artisans

Le magasin de Reyers s'emploie à séduire et fidéliser avec des produits d'artisans locaux, comme les pains cuits sur pierre du Moulin d'André. Mieux: le magasin propose désormais aussi à la vente la farine artisanale du même meunier, ce qui ravira les adeptes du pain fait maison. D'autres partenariats sont joliment mis en valeur, comme celui avec le torréfacteur Van Hove.

Un Delhaize, mais avec ses accents propres

L'espace, très généreux, est mis au service du confort. Ce magasin très contemporain joue pourtant aussi la carte de l'héritage de la marque Delhaize: des produits, des photos de magasins et des publicités vintage ont été exhumés des archives de l'enseigne. Dans la décoration, des panneaux boisés créent des ruptures assez élégantes, un esprit de déco "comme à domicile". Et de façon générale, Renaud Caeymaex a insisté pour ne pas enfermer son magasin dans une définition trop stricte du concept commercial de l'enseigne. Les murs de brique rouge sont devenus clairs, les meubles frigos d'ordinaire blancs dans le cahier des charges sont ici noirs. Le résultat est flatteur, et semble d'ailleurs avoir convaincu la tête de réseau.

Il ne lui reste plus qu'à séduire de plus en plus de clients. Il en a les moyens.