Le 19 novembre dernier se tenait, au Palais des Académies de Bruxelles, le Dîner de Gala annuel de The Retail Society. Un événement lui-même précédé d’une pré-session au cours de laquelle le public de ce business club de décideurs eut l’occasion de se confronter à un vaste panorama de sujets concernant le secteur, traités par des orateurs de choix. Suite à la création par Gondola de la plateforme “Homing Experience”, cette série d’interventions fut clôturée par un débat animé par Chris Van Wesemael, qui avait réuni sur scène Dieter Struye, General Manager de Brico et Brico Plan-It, Stefaan Bourgonjon, Sales Director Benelux de Bosch power tools, et Juan Miranda, Retail Director chez Knauf Belgium.

Le sujet autour duquel allaient débattre ces gros calibres du secteur? “Créer de la valeur dans un marché concurrentiel”. Mais avant même de penser à créer de la valeur, sans doute faut-il déjà penser à ne pas la détruire. Et la guerre des prix à laquelle on assiste dans le secteur DIY semble aujourd’hui davantage orientée vers cette impasse. “Bien sûr que ce n’est pas une bonne chose !” réagit Dieter Struye. “Comme c’est le cas dans tous les secteurs, un tel niveau de ristournes signe toujours un aveu de faiblesse. Jusqu’à présent les retailers n’ont pas trouvé l’alternative, mais il commence à y en avoir, et il doit certainement y en avoir.”

Innovation et service compris

Pratiquer des mega-réductions ne risque-t-il pas de saper la crédibilité des prix, de facon générale ? C’est Stefaan Bourgonjon qui prend la parole: “Vous nous avez réunis autour du thème de la “value creation”, et pour rester dans la langue anglaise, il est évident que celle-ci est “distracted”. Un parasitage qui n’est pas favorable et ne saurait servir de stratégie. Aujourd’hui, les retailers se surveillent davantage entre eux qu’ils n’accordent d’attention au consommateur. C’est la satisfaction des attentes de celui-ci qui doit permettre d’en sortir par le haut. Et c’est incontestablement la capacité à mettre en valeur l’innovation qui développe la valeur. Chez Bosch, nous avons l’obligation de générer 40% de notre chiffre d’affaires à partir de produits ayant moins de deux ans.” Et de citer le cas récent d’une offre communiquée via un display instore proposant un télémètre laser , qui a réussi à convaincre 35.000 shoppers d’acquérir un produit à 49 euros au lieu des 3,50 euros auxquels sont vendus les mètres pliants traditionnels.

Pour Stefaan Bourgonjon, il est donc stérile de flatter sans cesse le portefeuille du shopper, quand d’autres méthodes de vente permettent de créer la valeur. “Prenez l’exemple des tondeuses-robots pour le gazon. Si vous tapez le nom de ce produit sur Google, vous verrez s’afficher 200 prix différents. Mais une seule offre qui promet l’installation gratuite ! Et voila comment vous parvenez à convaincre 5.000 Belges d’acheter chez vous un article de plus de 1.000 euros, grâce au service.”

“Mon principal concurrent s’appelle Neckermann !”

Pour Juan Miranda, la question de l’hyper-agressivité promotionnelle se pose en termes encore plus défavorables: “Knauf est spécialiste d’un domaine - la construction - où le consommateur ne va pas différer ses achats indispensables en attendant une offre canon du folder Brico, Hubo ou Gamma. Et encore moins se mettre à stocker nos produits “au cas où”. Alors, quand des remises importantes lui sont promises, je ne peux rétrospectivement m’empêcher de penser qu’on a gagné des points d’image-prix sur mon dos. Aujourd’hui, le rôle du retailer devrait être d’apporter de la connaissance, et pas seulement un prix. Le prix, nous ne le maîtrisons de toute façon pas en tant que fabricant: l’Europe nous interdit de le définir de façon fixe.

Et Juan Miranda de poursuivre sur ce thème de la connaissance: “La légende du Belge qui a une brique dans l’estomac était valable voici 40 ou 50 ans, mais elle a vécu. Aujourd’hui, mon principal concurrent s’appelle Neckermann ! Les jeunes vivent déjà plus longtemps chez leur parents. Quand ils arrivent dans notre marché, vers 30 à 35 ans, ils le font sans disposer du moindre bagage de connaissance technique. Les marges, si elles étaient mieux préservées, devraient permettre d’investir dans un processus de formation, léger mais efficace, dont tout le monde sortirait gagnant.”

Le DIY en quête de category management

Pour nos interlocuteurs, le secteur du DIY tout entier a sans doute fait preuve d’un peu de paresse, en s’endormant sur ses lauriers. La concurrence actuelle est peut-être vive, mais que dire de l’émergence, dans des pays tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas, d’acteurs pure players dans le canal digital, ou de l’apparition de nouveaux concepts? Paradoxalement, le fait que le marché belge ait peu bougé offre des opportunités à ceux qui le feront les premiers.

Et Dieter Struye n’est pas le dernier à souhaiter proposer de la valeur ajoutée aux clients de Brico. Son enseigne a d’ailleurs entrepris les premiers pas de cette évolution, en développant des alternatives au seul prix. “Nous voulons nous concentrer sur notre capacité à nous différencier, et ce ne sont pas les pistes qui manquent. On observe aujourd’hui chez le consommateur un véritable intérêt pour le “faire soi-même”. Encore convient-il en effet de l’aider à surmonter les barrières - manque de connaissances ou angoisse de mal faire - qui l’empêchent de passer à l’acte. Quant à l’innovation, il est évident qu’elle doit occuper une place de choix dans nos rayons, mais il faut aussi que les fabricants nous aident à nous différencier, en évitant de placer simultanément et partout les mêmes produits, présentés dans les mêmes displays. Il faut développer des offres personnalisées en fonction des retailers.“

Et Dieter Struye de conclure par un point de désaccord: “J’entends qu’on reproche aux retailers de trop jouer sur le prix. Je ne prétends pas que nous soyons parfaits. Mais je pourrais aussi renverser l’argument. En arrivant dans le monde du DIY depuis un autre univers, j’avoue avoir été très surpris de constater qu’il y avait si peu d’accent mis sur le category management. Les marques souhaitent une approche tournée vers la valeur? Fort bien. En pratique, je constate que la majorité d’entre elles viennent surtout nous vendre des produits sans se préoccuper de la perspective du consommateur. Or, c’est bien ce processus-là que nous ambitionnons de mieux comprendre, chez Brico.”

Au terme d’un débat à la fois courtois et rythmé, on concluera donc que le secteur du DIY tout entier a intérêt à engager un tel chantier...