A l'heure où la santé est au coeur de toutes les tendances alimentaires, l'épicerie en ligne Kazidomi, qui a pour objectif de démocratiser l’accès à une alimentation saine, se développe. Ce webshop fonctionne sur le modèle d’abonnement annuel, permettant aux utilisateurs d’avoir accès aux prix fournisseurs. En moyenne, l’abonné pourrait économiser 29% sur sa souche. Et s'il ne revient pas sur sa mise, il se voit rembourser la différence. Emna Everard, co-fondatrice du projet, interviendra lors de la session The Disruptors de Gondola Society, le 21 mars prochain. En attendant, elle a accepté de se prêter à l’exercice des ‘3 questions à…’.

L’épicerie en ligne Kazidomi est née en septembre 2016 en vue d’offrir des produits sains sélectionnés par des spécialistes de la santé à prix abordable. Depuis lors, la plateforme a fait son petit bout de chemin, poussée entre autres par la tendance ‘santé’. Aujourd’hui Kazidomi peut se targuer d’avoir déjà près de 10.000 abonnés.

Comment est née l’idée de cette plateforme?

Nous avions lancé un site web qui était très proche en termes d'offre, mais l'abonnement n'existait pas encore. Nous avions mis beaucoup d'énergie à mettre en place des critères strictes pour choisir les meilleurs produits du point de vue de la santé et de l'environnement. Nous voulions également rétablir un contrat de confiance avec les consommateurs. Nous rêvions d'un supermarché où il serait possible de faire ses courses les yeux fermés.

Le problème, c’est qu'il est difficile de faire ses courses les yeux fermés quand on observe les prix de ce genre de produits ! Dès lors, en nous inspirant de différents modèles américains que mon co-fondateur Alain a rencontré en étudiant au MIT, nous avons pris la décision de mettre en place une formule d'abonnement annuel. Avec ce dernier, nous avions alors une offre complète qui correspondait réellement à ce que nos consommateurs cherchaient.

Comment parvenez-vous à garantir l’accès aux produits à prix fournisseurs? Pourquoi avoir opté pour un modèle d’abonnement? Sachant que la différence est remboursée en cas d’abonnement non-rentabilisé, ce modèle est-il suffisamment rentable pour soutenir vos investissements?

Plusieurs éléments sont clés, d'abord nous sacrifions la quasi totalité des marges aux profits des abonnements, ensuite nous concentrons nos volumes sur peu d'unités pour obtenir des volumes permettant d'obtenir des tarifs avantageux qui laissent assez de marges après abonnement pour financer les coûts opérationnels.

Aujourd'hui dans l'e-commerce d'épicerie, il est très difficile de faire de l'argent. Le peu d'e-commerçants qui en font sont souvent des points de retraits et ne proposent en réalité que la commande en ligne et la préparation du colis, et non l’envoi et la gestion du suivi qui sont tous deux des postes très coûteux.

Dans le marché réduit des e-commerçants similaires aux nôtres, faire du profit est difficile pour deux raisons. Premièrement, les clients ne sont pas fidèles et sautent d'une promotion à l'autre. Les coûts d'acquisition sont donc très hauts pour des clients dont la ‘lifetime value’ est basse puisqu'ils ne commandent qu'une fois. Deuxièmement, les frais de livraison sont très souvent offerts à des tarifs de plus en plus bas ou gratuits sur les premières commandes, ce qui condamne presque à coup sûr la profitabilité des commandes.

Lancer un abonnement est une façon de signer un contrat avec son client. En clair, nous sacrifions nos marges, mais vous nous offrez de la loyauté pour que nos investissements en vous ne soient pas vains. Dès lors, la loyauté est rétablie sur une base au moins annuelle. Ensuite, ce que l'on observe, c'est que cet abonnement change radicalement le comportement du client: son panier moyen augmente, il commande plus et plus souvent. Cela résout le second défi des e-commerçant puisque les commandes sont d'une taille suffisante pour ne pas générer de pertes (d'autant plus que ces hauts volumes vont permettre une fois de plus d'améliorer les prix d'achat des produits). De cette modification des comportements découle le fait que très peu de consommateurs demandent à être remboursés puisqu'ils ont réalisé les économies nécessaires.

Finalement, nous créons plus qu'un e-shop. Nous créons une marque de confiance, un one-stop-shop de référence pour une vie saine. C'est ce qui plaît à nos clients et à nos fournisseurs qui sont de plus en plus prêts à investir pour avoir accès à cet échantillon de clients unique. Cela demande des investissements considérables en contenu, en communication, en service, mais nous garantit aussi la capacité de monétiser une communauté d'abonnés dans le futur, ce qui sera plus difficile pour des boutiques en ligne n’ayant pas d’influence sur leurs clients.

Quel regard portez-vous sur le secteur du retail classique et les enseignes spécialisées dans le bio par exemple?

Nous sommes un acteur de niche, nous n'avons pas l'ambition de remplacer la grande distribution, simplement d'y offrir une alternative, qui répond à certaines valeurs morales et qui se basent sur un système innovant. Nous ne voyons finalement pas dans les grands retailers des concurrents, et vice versa. Un modèle comme le nôtre va demeurer un acteur d'une envergure plus limitée et s'adresse à un échantillon plus restreint de consommateurs.

En ce qui concerne les dynamiques du marché, nous observons toutefois une prise de conscience forte des retailers vis à vis du marché, du besoin de réduire les déchets, d'offrir plus de produits bio, de conscientiser les clients, d'offrir des alternatives végétariennes, etc.

Dans l'ensemble, les chaînes spécialisées ont un rôle différent : elles s'adressent aux "early adopters" alors que retail classique s'adresse aux masses. A l'heure où le retail commence à suivre les magasins et les boutiques spécialisées, il va leur être nécessaire de se réinventer, de continuer de jouer leur rôle, de trouver des alternatives innovantes, de se distinguer en offrant des produits rares, différents, etc. Il est également important qu'elles dépassent cet aspect transactionnel en éduquant le consommateurs, par exemple, en l’informant sur la saisonnalité des fruits et légumes, en les aidant à découvrir de nouvelles manières de consommer (zéro déchet, ...), etc. C'est à partir de là qu'elles vont créer de la valeur et continuer de convaincre, et c'est à ce moment là qu'elles vont se distinguer. Tôt ou tard, si cela s'avère être un succès, les grands distributeurs suivront, et il leur faudra là encore se réinventer. J'ai l'impression que beaucoup de ces enseignes cependant ne sont pas prêtes à ces changements et seront remplacées par le retail dont l'offre devient de plus en plus proche, mais de nouvelles boutiques ouvriront encore avec des concepts toujours plus novateurs.