C’est un exercice auquel Tom Penninckx se livre régulièrement, pour le plus grand plaisir des membres de Gondola Society, et cette fois, de Gondola Magazine : lire et interpréter l’état du marché. En s’appuyant sur des données bien sûr, pour être fidèle à son rôle d’Analytical Team Leader de NielsenIQ.

Tom, et s’il ne fallait retenir qu’un phénomène, de cette année 2023, quel serait-il ?

Sans hésitation, ce serait bien entendu la hausse des prix. Elle n’était pas inattendue, mais peut-être pas dans de telles proportions. L’an dernier, à pareille époque, j’avais prévu qu’elle atteindrait +/- 7 % en moyenne en 2023, mais en réalité, pour l’année complète, on se dirige davantage vers +11 % ou 11,5 %. De telles hausses «à double digit», c’est évidemment un peu surréaliste, et encore, il s’agit bien là de moyennes. Si on observe des catégories telles que Dairy, Bakery ou Grocery, les chiffres peuvent s’envoler jusqu’à +20 %. Il faut se rendre compte qu’on a connu une hausse des prix plus importante en deux ans qu’au cours du cumul des 10 années précédentes. Bien sûr, nous sommes un pays qui assure une protection du pouvoir d’achat, avec notamment l’indexation des salaires. Mais malgré tout, quand le phénomène prend une telle ampleur, il ne faut pas s’étonner que le consommateur adapte son comportement. En Belgique, pour 81 % des catégories de produits, les hausses de prix se sont traduites par des pertes de volume.

Avec le risque que cette prudence du consommateur se prolonge, si les prix ne baissent pas ?

Bien sûr. Ce doit être la question que l’on me pose le plus souvent, et je ne dispose pas des éléments pour y répondre. C’est une discussion qui intervient entre les retailers et leurs fournisseurs. Les premiers font savoir aux deuxièmes que les prix doivent impérativement baisser, ne fût-ce que pour freiner les achats transfrontaliers, entre autres. Mais rien n’est moins sûr, car il faut maintenir ou récréer des marges, pour les uns comme pour les autres. Et le soupçon peut s’appliquer à tous : les hausses de prix ne servent-ils pas d’excuses pour créer des marges ? Les cours des matières premières ont baissé, mais ceci ne s’est pas encore répercuté sur les prix en rayon. Il peut y avoir des raisons objectives pour le justifier. Mais le consommateur ne dispose pas de toute la transparence pour le prendre en compte. La hausse des prix alimentaires apparaît comme la principale préoccupation du consommateur européen. Quand on l’interroge comme NielsenIQ l’a fait au milieu de l’année, ce souci apparaît largement en tête de liste, cité par 42 % des répondants, très loin devant les autres inquiétudes. Sans surprise, le consommateur réagit, et c’est en réalité un phénomène très intéressant à observer.

Comment décrire ce comportement modifié ?

Incontestablement, les volumes sont sous pression, comme on l’a déjà dit. Le consommateur tend à faire l’impasse sur tous les produits qu’il ne juge pas essentiels, c’est vrai, mais il faut aussi reconnaître que les fabricants ont eux-mêmes participé à cette baisse des volumes avec le downsizing, ou la shrinkflation, pour utiliser un mot qu’on a tous appris à connaître cette année. Inévitablement, ces adaptations de packagings ou de portions conduisent à une diminution des volumes. Et qui sait, peut-être n’est-ce pas une mauvaise chose, quand on sait qu’un Belge sur deux est en surpoids, et que 16 % de la population est en situation d’obésité !

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Au-delà de la boutade, cette prise de conscience du prix rejoint une autre tendance majeure, celle qui voit le consommateur guider ses achats en fonction du critère santé. On voit qu’elle se renforce, en favorisant davantage les produits moins transformés, plus transparents sur leur composition, et débarrassés de certains ingrédients. C’est tout le domaine du gluten-free, lactose-free, sugar-free… Cette tendance existait déjà, elle se poursuit. Mais ça va plus loin : une autre tendance émerge, celle de la personnalisation. Mes besoins physiologiques ne sont pas forcément les mêmes que les vôtres, et ils peuvent être satisfaits par une alimentation davantage sur mesure. C’est évidemment une voie prometteuse pour créer de la valeur, parce qu’il y a des consommateurs qui sont prêts à payer pour une telle promesse.

Il faut d’ailleurs le rappeler : le segment premium continue à se porter très bien. On a beau dire que le consommateur décroche, avec cette forte inflation, ce n’est pas le cas pour les produits auxquels il attribue une forte valeur, et c’est le cas des produits fonctionnels, ou des produits "free from" . Et de ce point de vue, la méfiance de certains consommateurs est plus large qu’avant : là où il évitait le sucre il y a 10 ans, il a tendance à éviter aujourd’hui aussi les substituts, comme l’aspartame. Quitte à se détourner des softs drinks : on voit en tout cas que le segment "free from sugar" ne progresse plus dans cette catégorie. Résumons : le consommateur est donc encore prêt à payer pour ce qu’il juge important. De façons générale, il achète un peu moins, ce qui nuit aux volumes, également pénalisés par la politique de shrinkflation des fabricants.

Et pour le reste, l’adaptation du consommateur, c’est sans doute qu’il se tourne davantage vers les Private Labels ?

Oui, c’est le cas, il y trouve une bonne façon de maîtriser son budget. Et d’autant plus qu’il déclare en être satisfait. 47 % des consommateurs sont satisfaits du rapport qualité/prix des PL, 45 % voient en eux des bonnes alternatives aux marques nationales, et 39 % considèrent même que certains produits offrent une qualité supérieure à celle de leurs équivalents en marques nationales. Il n’y a pas que les PL, il y a aussi la concurrence de canaux de distribution nouveaux…

C’est clairement le cas pour les produits FMCG non-food. Ils ont tendance à davantage migrer vers des webshops spécialisés. Il suffit aujourd’hui de googler "lames Gillette" pour voir s’afficher des good deals. C’est une évolution de ses habitudes d’achat plus facile à adopter pour du non-alimentaire que pour de l’alimentaire. Il ne s’agit pas d’apprécier l’aspect ou la fraîcheur : il s’agit de produits bien précis, dont on connaît les caractéristiques, et pour lesquels on cherche une offre intéressante. Ce «switch» se développe beaucoup pour les produits non-food. Un exemple ? Aux Pays-Bas, où cette tendance est déjà plus installée, plus de la moitié des produits de lessive sont vendus en ligne sur des sites spécialisés. Le pet food est aussi concerné par ce type de développement.

Le consommateur belge est très sensible aux promotions, il les adore. Mais le nombre de promotions présentes en magasins est en réalité inférieur à la moyenne européenne.

Tom Penninckx

Le marché belge en 2023, c’est aussi une omniprésence des promotions ?

C’est une impression qu’il faut corriger, ou relativiser. Oui, le consommateur belge est très sensible aux promotions, il les adore. Mais le nombre de promotions présentes en magasins est en réalité inférieur à la moyenne européenne. Déjà, les discounters ne souhaitent pas les multiplier : pour eux, ce qui compte, c’est un modèle «everyday low price» aussi simple que possible, sans avoir à gérer des masses d’offres promotionnelles. Il y a bien sûr des enseignes qui sont au contraire très orientées promo, comme Kruidvat, ou Albert Heijn qui sort des promotions spectaculaires. Mais dire que le marché belge est saturé de promotions par rapport à d’autres marchés, non, ce n’est pas le cas. Les Pays-Bas se situent par exemple à un niveau bien supérieur, sur ce terrain. On va dire que chez nous, on vendra 21,8 % du chiffre d’affaires total en promotion. Dans d’autres pays, on parle parfois d’un quart, ou d’un tiers de ce qui est vendu ! Mais il y a bien une caractéristique propre aux promotions en 2023 : le contexte général de forte inflation, et la sensibilité au prix qui l’accompagne, les ont rendues d’autant plus visibles, attractives, et donc efficaces. Ce qu’on voit, c’est que la part incrémentale de ventes qu’elles génèrent est plus importante qu’il y a un an ou deux. Elles sont donc plus efficaces. Sont-elles rentables ? Ça, il m’est impossible de le dire, je ne connais pas les marges qu’elles laissent.

Quid des achats transfrontaliers ?

C’est une tradition qui existait déjà, chez le consommateur belge. Il allait volontiers acheter de l’alcool au Luxembourg, faire ses courses en France ou se rendre en Allemagne pour le non-food. Le phénomène s’est bien entendu encore renforcé, avec cette forte inflation. Elle a touché ces pays-là aussi, bien qu’un peu moins, mais le différentiel de prix reste intéressant, sauf avec les Pays-Bas, où l’écart a beaucoup baissé, suite à l’introduction chez nos voisins du nord de nouvelles taxes et accises. Acheter à l’étranger, c’est une autre des parades que le consommateur utilise pour préserver son pouvoir d’achat.

Tom Penninckx

Côté retailers, le marché a bougé en 2023 : Makro a disparu fin 2022, le réseau Match et Smatch est vendu, Delhaize est en cours de franchisation, et Mestdagh passe sous pavillon Intermarché. Désormais, le marché se divise essentiellement entre discounters et indépendants…

C’est exact. Les discounters ont vu leur part de marché progresser. Aldi, Lidl, Colruyt Meilleurs Prix et Intermarché s’attribuaient 46,4 % du marché en 2021, ils pèsent aujourd’hui 49,9 %, soit la moitié du marché tout entier. Ce n’est pas rien ! Mais les supermarchés de proximité ont aussi leur carte à jouer, s’ils séduisent le tiers des consommateurs qui disent éprouver du plaisir à faire leurs courses. Tout a ses limites, même le modèle du discount !

La question inévitable. Celle que posent certainement vos clients : à quoi s’attendre en 2024 ? Quels sont les grands challenges ?

Le pic de hausses de prix a déjà été dépassé. Mais même si les prix des matières premières reculent, je ne prévois pas de grosses baisses de prix, tout au moins pour les marques nationales, ce qui promet de fameuses tensions lors des négociations commerciales en cours. Pour les Private Labels, le prix pourrait légèrement baisser. Pour autant, je ne crois pas que la part de marché des PL va continuer à croître au même rythme, elle ne peut pas progresser indéfiniment. Il y aura un palier, une stabilisation. Mais au rang des challenges, il n’y a pas que la problématique des prix à court terme. L’agenda durable, un peu occulté par la Covid puis l’inflation, reste important, en particulier vis-à-vis des jeunes générations de consommateurs.

Et pour Tom Penninckx et NielsenIQ, y a-t-il de nouveaux projets ?

Clairement oui : nous migrons vers notre nouvelle plateforme «Discover». Elle permet à nos clients de disposer de dashboards en ligne réunissant toutes les informations, un outil qui peut aussi être entièrement personnalisé selon leurs préférences, et leur permet de partager leurs datas et analyses. Nous sommes en plein cours de déploiement !

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Cet article a été publié précédemment dans l'édition Vision 2024 du magazine Gondola.

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