Erwin Schöpges, président de Faircoop, coopérative des agriculteurs et des citoyens qui commercialise des produits à un prix équitable sous la marque Fairebel, souhaite éclaircir quelques points fondamentaux dans ce contexte tendu entre agriculteurs et acteurs de la grande distribution.

Vous faites appel à Gondola, via ces deux pages, pour envoyer un message fort aux acteurs de la grande distribution. Quel est le point de départ ? 

Comme chacun le sait, ces dernières semaines ont été ponctuées par de nombreuses manifestations d’agriculteurs, accompagnées d’un blocage des centrales de distribution. Nous assistons en effet à une rupture du dialogue entre les agriculteurs, et donc les producteurs, avec les acteurs de la distribution. Aujourd’hui, le rapport de force n’est plus équitable. Faircoop, coopérative qui commercialise du lait, du fromage, des fruits ou encore de la viande sous la marque Fairebel, représente pas moins de 500 agriculteurs répartis à travers la Belgique. En tant que Président et premier interlocuteur pour les négociations avec la grande distribution, je souhaiterais expliquer notre vision des choses. 

Pourriez-vous nous rappeler comment fonctionne votre coopérative ?

Nous avons mis en place Faircoop en 2009 avec pour but de proposer des produits locaux à un prix équitable. Dans le principe du commerce équitable, tout le monde doit être rémunéré correctement : les producteurs, les transformateurs et bien entendu le distributeur. Les agriculteurs et producteurs doivent notamment pouvoir supporter les couts de production, la rémunération du personnel, tout comme ils doivent pouvoir se payer un salaire. Notre coopérative est gérée par des agriculteurs et notre conseil d’administration, composé d’agriculteurs, applique la stratégie d’un prix juste et équitable. Notre coopérative est par ailleurs ouverte depuis 2015 aux consommateurs, qui ont un droit de vote à l’assemblée générale et sont représentés dans le conseil d’administration. 

Les négociations entre les agriculteurs et les acteurs de la grande distribution est-elle au point mort ? 

Si nos produits sont encore aujourd’hui référencés dans de nombreuses enseignes, nous observons une tendance : les enseignes privilégient le private label au détriment des marques nationales. En parallèle, ils diminuent le nombre de références. Dans ce contexte, nos produits ont de moins en moins de place dans les rayons. Si la grande distribution souhaite soutenir, comme elle le dit, une production agricole locale, elle doit faire confiance à notre marque. Nous sommes une des seules marques nationales belges et, en plus, nous rémunérons correctement les producteurs et nous donnons la possibilité à la grande distribution de travailler avec plusieurs agriculteurs. Notre marque est présente depuis quinze ans sur le marché, preuve que nous sommes sérieux. 

Estimez-vous que la grande distribution comprend votre politique de prix équitable ? 

Deux messages principaux ressortent régulièrement de la bouche des acteurs de la grande distribution : il faut générer plus de bénéfices, ce qui est difficile car les marges sont plus faibles, et il faut vendre un produit le moins cher possible pour le citoyen. Nous ne disons pas que la grande distribution ne doit pas réaliser des marges, mais elle doit s’inclure dans une politique de juste prix pour l’agriculteur. Nous sommes au début de la chaine, il est impossible pour un agriculteur de tenir le coup. Or, la grande distribution n’a pas l’habitude de fonctionner comme cela. La grande distribution dit toujours qu’elle travaille en direct avec les agriculteurs. Soutenir la filière locale est une chose, mais il faut l’accompagner d’une dimension équitable.

Comment définissez-vous votre politique de prix équitable ? 

Pour le lait par exemple, qui est notre produit principal, nous établissons un prix de base, établi via des données notamment du SPF Economie ou d’organismes européens. Nous ne tenons pas compte du prix du lait mondial, mais de la situation au niveau local. Ce prix de base au litre doit permettre à l’agriculteur d’avoir une rémunération correcte et qui supporte l’ensemble de ses coûts. Nous collectons le lait auprès d’environ dix agriculteurs, au même prix pour tout le monde. Après commercialisation, la coopérative récupère le bénéfice, qui est à ce moment partagé équitablement entre tous les membres de la coopérative. Grâce à notre système de traçabilité, chaque agriculteur peut prouver ce qu’il a reçu sur la vente des produits Fairebel. Dans cette politique de négociation, nous ne descendons pas le prix. La marge commerciale est identique pour toutes les enseignes.

Vos produits rencontrent-ils un succès en magasin ? 

Pour vous prendre l’exemple de notre produit phare, le lait, nous sommes la seule marque en croissance dans cette catégorie. Nous sommes passé de 800.000 litres en 2010 à 13 millions de litres vendus sur le marché global en 2023. Nous sommes conscients qu’en ces temps de crise, une partie des consommateurs se base sur le critère du prix le plus attractif. Il ne faut pas oublier qu’une autre partie des consommateurs accepte de payer plus cher si le but est de soutenir le monde agricole. Pour que le consommateur puisse choisir de soutenir l’agriculture locale et équitable, la grande distribution doit jouer le jeu et nous donner une visibilité. 

Quel est aujourd’hui l’état du dialogue avec la grande distribution ? 

Je ne vois pas beaucoup d’évolution positive. Je parle régulièrement avec Dominique Michel, patron de Comeos, la Fédération belge du commerce. Il estime notamment que les politiciens doivent apporter des solutions. C’est trop facile de porter l’entière responsabilité sur la politique, je pense que la grande distribution doit réagir. Son propos et son attitude ne sont pas respectueux envers le monde agricole. Dans aucun secteur, que cela soit celui du lait, de la viande ou des légumes, j’entends une volonté de concertation ou d’engagement écrit. Je ne dis pas que la grande distribution est responsable de tout puisque, déjà, elle n’achète que 15 à 20 % du lait, le reste étant acheté par l’industrie. Toutefois, elle doit prendre des engagements. 

Comment envisagez-vous l’avenir dans les prochains mois ? 

J’ai parlé avec une centaine d’agriculteurs et la colère est clairement toujours là. Croyez-moi ou pas, mais je peux vous dire que la manifestation n’est pas terminée. Les agriculteurs ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, les jeunes ont du mal à s’installer, etc. Nous ne souhaitons pas tourner le dos à la grande distribution, nous souhaitons plutôt trouver un accord en commun. Nous souhaitons être un partenaire de la grande distribution, mais à niveau égal.

Plus d’informations ?

Pour contacter Erwin Schöpges : schoepges.erwin@faircoop.be 0497/90.45.47

Plus d’informations sur Fairebel : www.fairebel.be 

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