Pour beaucoup d’observateurs, le rachat des supermarchés bio Whole Foods par Amazon est un véritable tremblement de terre. La réaction de la bourse en témoigne. Mais pour d’autres, tout aussi nombreux, ce n’est pas vraiment une surprise et leur raisonnement ne manque pas d’intérêt. D’abord, il est clair que les expériences consommateur off et on line convergent de plus en plus. Ensuite,  Amazon ne pouvait assouvir ses ambitions dans le secteur alimentaire qu’en tirant les coûts logistiques vers le bas. Impossible avec un système de livraison à domicile mais tout à fait réaliste avec un ‘click and collect’… qui nécessite de disposer d’un réseau de magasins.

Il n’y a pas si longtemps, on considérait que l’émergence de l’e-commerce condamnait à mort le commerce traditionnel. Pourtant, on constate que ces dernières années les deux canaux trouvent des points de convergence. Le retail traditionnel a réussi à s’adapter, démontrant sa capacité à jouer sur les deux tableaux. Car le commerce n’est pas exclusivement affaire de produits et de prix : l’expérience consommateur joue un rôle déterminant. Il y aura toujours des consommateurs qui opteront pour des ‘pure-players’, mais la plupart des nouveaux consommateurs on line ne sont pas aussi radicaux. Cela ouvre des perspectives aux commerçants qui jouent la carte de l’omnichannel car ils sont en mesure d’offrir à leur clients une expérience d’achat personnalisée tout en réduisant le coût du ‘last mile’.

 

Marketing et logistique

Deux mots résument très bien ce qu’est l’e-commerce : marketing et logistique. Et les deux ont un coût. Si les pure players ont l’avantage de disposer d’une impressionnante masse de données, ils ne peuvent offrir de véritable expérience consommateur. Ils pallient à ce manque en proposant la gratuité des livraisons et des retours. Zalando est un bel exemple de cette politique. Mais le coût logistique de ce business model est énorme. D’ailleurs, la plupart des pure players perdent de l’argent. Et, forts de l’adage ‘the winner takes all’, ils sont prêts à en perdre encore beaucoup.

Sur ce plan, Amazon est déjà allé très loin. Peu lui importait les pertes : il était déterminé à se rendre incontournable. Et c’est réussi ! Selon Slice Intelligence, 43% des ventes en ligne aux États-Unis passent aujourd’hui par Amazon et ses parts de marché ne cessent de croître. Mieux : plus de la moitié (52%) des e-shoppers américains se connectent en priorité sur Amazon.com lorsqu’ils souhaitent acheter quelque chose en ligne.

Pour amortir les coûts logistiques de sa fulgurante croissance, Amazon investit dans des entrepôts toujours plus performants, dans la robotisation, dans la surexploitation des travailleurs logistiques – en Allemagne notamment – et dans la maîtrise de ses outils de transport et de livraison.

L’e-food, un créneau difficile

Jeff Bezos n’entend pas en rester aux livres, aux CD, à l’électronique ou aux ustensiles de cuisine. Il entend attaquer d’autres retailers sur leur terrain de prédilection : l’alimentation fraîche. Le fait que le déploiement d’Amazon Fresh soit lent et circonscrit à quelques grandes villes montre que Bezos s’est très vite rendu compte que la gestion logistique de ce secteur est bien plus difficile.

Lors du récent salon ‘transport logistic’ de Munich, on s’est intéressé à l’émergence du marché ‘e-food’. Avec un constat : les coûts logistiques constituent un solide frein à son essor et les supermarchés physiques ont de sérieux arguments à faire valoir car il leur est bien plus facile d’organiser des systèmes de livraison ou d’enlèvement. La conclusion s’impose : en l’état actuel des choses, les pure players ne sont pas compétitifs.  

Ce qui nous ramène à Whole Foods. Avant tout, il faut noter qu’il s’agit d’un relativement petit acteur du secteur – 70ème au ‘ranking’ mondial – et qu’il est spécialisé dans les produits bio. S’il est envisageable de modifier l’assortiment pour l’adapter au profil type du client Amazon, cette modification n’offre aucune garantie de réaliser une percés significative dans le secteur des supermarchés.

 

Click & collect

Mais ce qui importe à Amazon, ce sont les 465 magasins physiques dont il est désormais propriétaire aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Ils constituent la ‘tête de pont’ pour construire un réseau ‘click & collect’ de points d’enlèvement. Amazon teste d’ailleurs déjà son concept Amazon Fresh Pickup à Seattle. A terme, il pourra être greffé sur les magasins récemment acquis.

Pour l’instant, il ne faut pas envisager de synergies rentables sur le plan des produits car les assortiments d’Amazon Fresh et de Whole Foods sont trop différents. Mais il est possible d’exploiter le réseau physique : les commandes peuvent être préparées dans un centre logistique et transportées dans les magasins pour y être enlevées par les clients.  

Un tel système comporte néanmoins un désavantage : préparer les commandes ailleurs que dans le magasin lui-même ralentit la logistique alors que dans le concept Amazon Fresh Pickup, l’objectif est de préparer la commande dans les deux heures, voire plus rapidement encore si le client se rend sur place.  

Il ne serait donc pas surprenant que Whole Foods ne soit qu’une première étape et qu’Amazon projette déjà le rachat d’une autre chaîne de supermarchés. Mais dans ce cas, il faudrait que ce soit une ‘vraie’ chaîne, une chaîne qui lui permette de jouer pleinement la carte de l’omnichannel.