Depuis le 1er janvier 2018, les accises sur les boissons rafraichissantes ont une nouvelle fois augmenté. Le tarif est passé de 3 cents par litre en 2016 à 6,81 cents en 2017, pour aujourd'hui atteindre 11,92 cents. Depuis l’introduction de la taxe santé, les accises ont donc plus que triplé. Rencontré en septembre 2017, Jean Eylenbosch, Président de la Fevia, nous livrait son opinion tranchée sur le sujet. A ce moment, on ignorait encore si la nouvelle vague de hausse allait passer, et quel en serait l'ampleur. Mais les enseignements qu'il nous livrait alors font aujourd'hui écho à l'actualité. Nous ne pouvions dès lors ne pas les partager avec vous. Un entretien paru dans le Gondola Magazine de septembre.

Ne comptez pas sur Jean Eylenbosch pour perdre son calme: le Président de FEVIA, la Fédération de l’industrie alimentaire, ne se départ jamais de son habituelle courtoisie. Il n’empêche, on le sent plus qu’agacé, très remonté face au projet du gouvernement fédéral d’introduire une nouvelle taxe frappant l’industrie et le commerce des boissons. Et cette mesure, il est d’autant mieux à même d’en évaluer les conséquences qu’il s’agit d’un marché qu’il maîtrise par ailleurs parfaitement, en tant que Vice-President European Government Relations de Coca-Cola European Partners.

Petit récapitulatif pour ceux de nos lecteurs qui auraient passé les deux dernières années hors du système solaire. Voici deux ans, le gouvernement fédéral concrétisait son intention louable d’alléger les charges énormes qui pèsent sur le travail en Belgique, à travers le fameux “tax shift”. Un mécanisme qui ne diminue pas réellement la pression fiscale, mais la fait glisser vers d’autres bases d’imposition que celle de notre labeur quotidien.

Mais il n’y a pas de miracle: à moins de voir les finances publiques sombrer, il y a toujours des perdants. Qu’il y a toujours politiquement intérêt à décrire comme des cibles légitimes, au nom de nobles raisons, telles que l’équité fiscale ou la santé publique. C’est ainsi que le précompte mobilier augmenta de deux points, que la TVA sur l’électricité repassa de 6% à 21%, et que les produits à l’image politiquement incorrecte - diesel, alcool et tabac - se virent plus lourdement taxés. Quoi qu’on pense de la légitimité d’une telle mesure, il importe aussi de la juger sur ses effets. Or, côtés alcool et tabac, le compte n’y est pas. La hausse brutale des taxes et accises a eu des effets budgétaires paradoxaux. Trop d’impôt tue l’impôt, dit-on, en dopant l’évasion fiscale. Il semble aussi que trop d’accises favorisent l’évasion consumériste: le Belge n’a pas cessé de faire la fête, il est davantage allé chercher au-delà de nos frontières et à meilleur compte de quoi l’arroser. Résultat: la catégorie des boissons alcoolisées a la gueule de bois: les ventes ont brutalement baissé de 13% l’an passé, et la deuxième couche n’est pas faite pour rassurer, avec une nouvelle chute de 14,9% (chiffres MAT P07 2017).

La santé comme alibi

Le marché des boissons alcoolisées n’est pas le seul concerné. On en parle moins, mais en janvier 2016, on assista aussi à une hausse des accises sur les boissons rafraîchissantes. Avec là encore des effets sur les ventes transfrontalières, estimées à cette époque par GfK à 7% du volume de sodas achetés par les Belges, et en hausse de 12%. La hausse fut moins brutale que pour les alcools, mais elle fut sans doute plus rentable fiscalement, compte tenu de la largeur de l’assiette que représente ce marché de masse. Et c’est peut-être ce qui encourage le projet d’instauration d’une nouvelle couche taxatoire, qui ajouterait en 2018 la bagatelle de 75 millions d’euros de rentrées fiscales au 50 millions déjà prélevés de façon récurrente depuis 2016 via la hausse des accises. A nouveau, les éléments de language aident à faire passer la pilule, puisque cette mesure est volontiers baptisée “taxe santé”. 

Tout ceci a le don de faire bouillir Jean Eylenbosch: “Cela tient de la supercherie ! L’alibi de la santé est un paravent commode pour masquer un simple opportunisme budgétaire visant une catégorie de produits de consommation très large, et au rendement fiscal potentiellement juteux. Il est d’ailleurs révélateur de voir la grande hésitation qui entoure la définition du type de boisson “sucrée” qui serait concerné. Le périmètre touché ne se limiterait en réalité pas aux boissons contenant du sucre ajouté. Et plus fondamentalement, il est insupportable de voir une catégorie de produits singularisée de la sorte, sans même se référer aux ingrédients qui entrent dans la composition de chacun de ceux-ci.”

Comme si cela ne suffisait pas, certaines organisations, comme la Gezinsbond (la Ligue des familles flamande) poussent à la charrette en plaidant pour l’instauration d’une “taxe obésité”. “C’est méconnaître les efforts considérables investis par l’industrie pour contribuer à une consommation raisonnée, via la reformulation des produits ou le développement de formats plus modestes. Ou encore les initiatives prises sur une base volontaire par le secteur. Pensez à la Convention Alimentation Equilibrée signée l’an dernier avec la ministre de la Santé publique Maggie De Block, par laquelle les partenaires travaillent à réduire l’apport calorique et à promouvoir une alimentation plus équilibrée. Pensez aussi au Belgian Pledge porté par FEVIA, COMEOS et l’UBA, dont les entreprises signataires s’engagent à ne pas faire de publicité envers les enfants de moins de 12 ans. Ou encore à l’engagement pour une approche équilibrée de l’offre de boissons et de snacks dans les écoles flamandes, signé avec les ministres Crevits et Vandeurzen. Personne ne nie qu’il y a un problème d’hygiène alimentaire et d’obésité dans notre société, mais c’est par la pédagogie, la conduite d’une politique de santé assise sur la concertation qu’on répond à ce défi. Et certainement pas par une taxe opportuniste qui contrairement à ce que prétend son nom, ne contribuera en rien à la santé. Il ne faut pas leurrer le citoyen: c’est juste une mesure fiscale pour combler le gouffre budgétaire. Et ces vagues de hausses fiscales entraînent un double risque. Celui d’encourager toujours plus le consommateur à faire ses achats à l’étranger. Ou celui de le pousser vers des alternatives produit moins coûteuses mais de moindre qualité.”

Cet entretien a été publié dans l'édition de septembre du Gondola Magazine. Vous n'êtes pas encore abonné? Cliquez ici!