Après une année 2023 marquée par le retour à la réalité post-covid et l’inflation, 2024 s’annonce comme une année charnière pour le secteur de la consommation, estime Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola. "Si le secteur se décide à bouger, alors il a de très, très beaux jours devant lui. Dans le cas contraire, je crains que ce ne soit le début de la fin..."

Dans son récent ouvrage, "Consommation de crise : grandeur, décadence... et transcendance de la société de consommation au 21ème siècle". Pierre-Alexandre Billiet alerte sur le danger mortel qui guette le secteur s’il se révèle incapable d’évoluer vers une consommation économiquement, socialement et écologiquement durable. "Si la consommation s’est révélée très bénéfique pour notre société, la surconsommation en est par contre le cancer", diagnostique-t-il. Heureusement, le CEO de Gondola Group voit en la période actuelle à la fois le moment idéal et une opportunité unique, peut-être même la dernière, d’amorcer un changement en profondeur.

Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée ?

2023 a été l’année de la sortie de la crise covid. De manière générale, la grande distribution a de nouveau été confrontée à la réalité qui était la sienne en 2019.: négociations dures, grosse pression sur les marges, volumes en baisse... Avec en plus les difficultés liées aux matières premières, à l’inflation, l’indexation des salaires, etc. Pendant les années covid, la distribution a connu des croissances en volumes plus vues depuis 30 ans, elle était donc focalisée là-dessus et sur les problèmes connexes. Mais désormais, il est temps de régler les problèmes du passé et qui avaient été mis de côté pendant la pandémie.

C’est-à-dire ?

La croissance dans la grande distribution est fortement dépendante de ce que j’appelle la «surconsommation», à une croissance en volumes, et c’est très problématique. Il s’agit là de l’un des fondamentaux que j’aborde dans mon livre : il y a une grande différence entre société de consommation et société de surconsommation. Or une grosse partie de la croissance de la distribution aujourd’hui dépend d’une augmentation des volumes, et seulement une petite partie de la progression des marges. Dans un marché mature comme celui de la Belgique, cela signifie que le consommateur doit consommer toujours plus, ce qui est mauvais pour lui-même, comme pour la planète. C’est à cette équation que le secteur va devoir trouver une réponse.: comment générer de la croissance, sans avoir une croissance des externalités négatives comme l’obésité, la pollution, etc.

Est-ce vraiment réalisable ?

Je le pense, oui. Il y a énormément de valeur dans l’agroalimentaire et la grande distribution, seulement le secteur se révèle pour l’instant incapable de la capter. Or s’il ne le fait pas, d’autres secteurs s’en chargeront. Il suffit de regarder le succès rencontré par le secteur du bien-être. Pourtant, la première source de bien-être, c’est l’alimentation justement. Le phénomène Ozempic, du nom de ce médicament anti-obésité, est également révélateur. Cela montre bien que le consommateur a envie, a besoin de résoudre un certain nombre de problèmes. S’il ne trouve pas de solutions qui lui conviennent dans l’alimentaire, il les cherchera ailleurs. La bonne nouvelle pour le secteur agroalimentaire, c’est qu’il y a un réel potentiel économique à aller chercher.

Selon vous, 2024 est un moment propice pour opérer un changement en profondeur.

Les planètes me semblent alignées, en effet. Comme je l’explique dans mon livre, la consommation a régulièrement été un moteur de stabilisation et un vecteur de changement en période de crise, et c’est exactement l’opportunité qui s’offre à nous. Dans une société démocratique, cela passe toutefois nécessairement par une forme d’autorégulation qui doit s’opérer sur base d’informations d’experts, d’académiciens, de politiques, de dirigeants d’entreprise, etc. Or c’est ce qui est en train de se produire. On voit apparaître toute une série de choses fantastiques en matière de bonnes pratiques sur le plan financier, fiscal, économique, juridique... Je pense par exemple à la création de nouvelles normes en matière de comptabilité comme le true cost accounting ou encore le fait de donner une responsabilité juridique à des biens communs comme les forêts, les lacs, les mers, etc. Par ailleurs, nous avons la chance d’avoir en Belgique certains patrons d’entreprise de l’agroalimentaire et de la grande distribution qui sont de très grandes personnalités et de véritables leaders. Ceux-là se rendent bien compte qu’il n’est plus possible de continuer dans la même voie, que le secteur est en train de casser son modèle économique, de casser le consommateur, et surtout de casser la confiance de ce dernier. La seule volonté de ces patrons ne suffira cependant pas… Le modèle que je développe dans mon livre, et qui est d’ailleurs en train d’être implémenté avec douze CEO de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire, c’est un modèle que j’ai baptisé «ABC». L’idée est de parvenir à coordonner, de manière simultanée, l’action de l’Administration, c’est-à-dire des pouvoirs publics, du Business, donc des fournisseurs et des distributeurs, et enfin du duo schizophrénique Consumer/Citizen.

Optimisme ou pessimisme, quel est dès lors votre sentiment à l’aube de cette année 2024 ?

Je suis obligé de dire les deux. Il y a énormément d’opportunités qui s’offrent à la distribution et à l’agroalimentaire. Il suffit de regarder ce qu’il se passe dans les secteurs du bien-être, de la santé… Ces derniers captent une réelle valeur qui pourrait pourtant tomber dans l’escarcelle de l’alimentaire. Mais pour cela, il faut un véritable travail de fond et mettre fin au chacun pour soi. Si 2024 est effectivement l’année où le secteur se met en mouvement, alors il a de très, très beaux jours devant lui. Tous les ingrédients sont réunis, il est maintenant temps de trouver la recette. Dans le cas contraire, si la grande distribution et l’agroalimentaire ne changent pas leur fusil d’épaule et ne jouent pas la carte de l’intelligence collective avec le consommateur, alors je crains que ce ne soit le début de la fin... Selon moi, 2024 devrait donc marquer le début de la sortie des années de surconsommation ou alors l’entrée dans une commoditisation, une banalisation de l’alimentaire et de la consommation.

Consommation de Crise

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