L’e-commerce continue de se développer à toute vitesse. Aujourd’hui, près de 72% des Belges effectuent leurs achats online hors de nos frontières ce qui a pour conséquence que certains webshops belges éprouvent toutes les  difficultés du monde à garder la tête hors de l’eau. Par ailleurs, l’étude menée par Ipsos et PayPal confirme la lente progression du paiement mobile (13%). Mais si l’on compare avec les pays voisins, le potentiel est encore énorme. Pour les retailers, investir dans une stratégie omnichannel est un impératif. Mais quelles sont les tendances du moment et comment les webshops belges peuvent-ils lutter contre les achats transfrontaliers ? Ces questions, et bien d’autres, nous les avons posées à Jan-Willem Roest, directeur général de PayPal Benelux et Irlande.

Selon votre étude, 72% des Belges effectuent leurs achats online hors de nos frontières. Que penser de cette situation ?

Notre étude confirme en effet l’énorme succès du shopping cross-border. L’an dernier, le pourcentage n’était encore que de 63%. C’est dire si la progression est énorme et, à mon sens, l’explication est toute simple : les shoppers ne trouvent pas ‘le bon produit au bon prix’ sur notre marché. Quand on se penche sur le top 10 des entreprises d’e-commerce actives sur le marché belge, le constat est cruel : seuls Vanden Borre et Vente-Exclusive.com en font partie. Deux entreprises belges sur dix ! Les webshops belges vont devoir redoubler d’effort pour convaincre le public de leur plus-value. Nous pouvons les y aider.

Les webshops pourront faire autant d’efforts qu’ils veulent, force est de constater que l’e-commerce ressemble de plus en plus à un show “one man takes it all”.  

Vous avez raison mais je pense qu’il reste suffisamment de place pour des webshops spécialisés et davantage de croissance. D’autant plus que de nouvelles opportunités apparaissent tous les jours, ouvrant des portes à de nouveaux acteurs. Par exemple, notre étude montre que 13% de la population effectue des achats mobiles. Comparé à d’autres pays, le niveau est inquiétant. La Belgique est à la traîne en matière de commerce mobile alors qu’il est le plus important accélérateur de croissance de l’e-commerce dans le monde. Voyez la Chine ou New York, où les ventes sont réellement mobiles. Aux Pays-Bas, mais aussi chez PayPal, nous observons un grand nombre de transactions mobiles. Il est frappant de constater que, sur ce plan, la Belgique est loin derrière les Pays-Bas. Nous devons comprendre pourquoi et, à partir de là, imaginer comment stimuler la croissance du paiement mobile. Je sais qu’une des raisons est à chercher dans le prix élevé des data, prix qui décourage nombre d’utilisateurs.

La Belgique aurait-elle manqué le train des transactions mobiles ?

Non, je ne le pense pas. Le mouvement s’est enclenché plus tard mais lorsque je regarde les chiffres de croissance, je constate qu’il reste beaucoup de potentiel. Et ce potentiel, nous l’observons aussi chez nos propres utilisateurs PayPal. En Belgique, ils sont environ 1,2 million mais, comparée à celle du marché néerlandais, la croissance sur le marché belge est deux fois plus importante. PayPal détient 10% de parts de marché en Belgique, contre 6% seulement aux Pays-Bas. L’écart est interpellant. Il est évident que PayPal a été adopté par les Belges qui comprennent bien la nature de notre système : ils savent comment l’utiliser mais aussi comment ils sont protégés et, surtout, que les frais de retour sont remboursés. Le fait que le système plaise me fait dire que le nombre de transactions devrait encore progresser à l’avenir. Cela prendra un peu de temps car, en Belgique, le passage de l’offline à l’online n’en est encore qu’à ses débuts.

La Belgique étant un peu en retrait en matière de transactions mobiles, les grands acteurs ont déjà pu sérieusement se développer sur ce plan. L’étude montre également que 45% des clients optent de plus en plus pour de grands acteurs étrangers, Amazon ou bol.com par exemple. Comment les e-retailers belges peuvent-ils convaincre les clients d’acheter chez eux ?

En répondant au mieux à leurs souhaits. Ils doivent s’assurer de ce que leur offre soit parfaitement claire, du bon fonctionnement de leur webshop et d’une totale transparence des coûts. Rien n’est plus frustrant pour un client que de ne pas connaître le montant total final. Il arrive trop souvent qu’un shopper qui remplit son panier se retrouve à devoir payer toutes sortes de taxes, des frais de port et dieu sait quoi encore. La facture finale grimpe inconsidérément ce qui nuit gravement à l’expérience d’achat : il est impératif de communiquer clairement sur le montant total ! L’efficacité est tout aussi capitale. Le processus de paiement doit être meilleur et plus rapide. Aujourd’hui, le shopper doit encore passer par trop d’étapes pour régler ses achats : créer un compte, créer un mot de passe, se connecter, introduire des données, etc. Cela prend un temps fou de sorte qu’un certain nombre de clients stoppent la transaction avant terme. Chez PayPal, nous possédons déjà les informations concernant l’expédition. Les clients qui souhaitent commander une paire de jeans et payer avec PayPal n’ont pas à les réintroduire dans le système. Les webshops de nombreuses grandes entreprises de mode, Adidas, Nike ou Levi’s par exemple, fonctionnent déjà comme ça car leur objectif est que les clients passent au plus vite au check-out. Dans ce contexte, il est important de savoir que les clients peuvent modifier leurs données à tout moment et que, pour ce qui nous concerne, nous n’en faisons aucun usage. Notre rôle est de faciliter la conversion et de convaincre le shopper d’acheter sur un webshop donné plutôt que sur un autre.

De quels arguments convaincants les webshops qui visent une clientèle étrangère disposent-ils ?

Outre les impératifs d’efficacité et de transparence, ils doivent également répondre aux besoins ‘locaux’ du pays ciblé. Cela ne concerne pas seulement les différents besoins de consommation mais aussi les différents moments d’achat, comme les jours fériés par exemple. Aux Pays-Bas, la fête du roi a lieu fin avril et c’est une fête importante pour tous les Hollandais. En surfant habilement sur l’événement, un webshop doit être capable de profiter de cette occasion pour toucher davantage de clients.

L’aspect ‘convenience’ est un autre facteur important qui permet aux webshops de représenter une plus-value pour leur clientèle. L’e-commerce ne connaît ni frontières ni horaires. Un webshop est ouvert 7 jours 7, 24 heures sur 24. Du coup, les clients s’attendent à ce que leur colis leur soit livré dès le lendemain de leur commande. Et c’est le cas aux Pays-Bas. J’ai personnellement passé une commande un samedi matin et j’ai été livré dès le dimanche matin. Comme je n’étais pas satisfait du produit, je l’ai renvoyé le jour-même dans l’après-midi. Et le retour était gratuit ! Un plus qui intéresse vivement les clients. Mon exemple montre à quelle vitesse le processus achat/livraison se déroule aujourd’hui et le type d’exigences que posent les clients. Avant de se lancer sur un marché étranger, il faut en connaître les habitudes de livraison. Il se pourrait que la livraison le jour-même ou en soirée soit un critère déterminant pour certaines clients.

Retour gratuit, livraison le jour-même ou en soirée… peu de webshops sont capables de répondre à ces exigences.

Effectivement. Les webshops craignent les coûts et les tracas que cela entraîne. Néanmoins, nous continuons d’insister sur le fait que les retours présentent également des avantages, en particulier si les webshops permettent aux clients de payer avec PayPal. Nous remboursons les frais de retour, de sorte que les  webshops n’ont pas à s’en occuper. Pour ce qui est des tracas que causent les retours, il faut garder une chose à l’esprit : c’est peut-être du travail en plus mais le jeu en vaut la chandelle car c’est une occasion en or de se créer de nouveaux clients. Et, en soi, c’est toujours une sérieuse valeur ajoutée. Je pense aussi que c’est un aspect qui peut encore être amélioré sachant que, bien entendu, nous aurons besoin de l’aide des chaînes et du secteur de la logistique.

Ce n’est pas toujours facile pour les plus petits acteurs. Est-il rentable pour eux de se risquer sur le marché transfrontalier ?

C’est à eux de voir. Je pense que leur réflexion doit porter sur deux éléments : d’une part, ils doivent décider eux-mêmes de ce qui est rentable et, de l’autre, ils doivent savoir s’ils peuvent ou non se passer d’Amazon. Je pense cependant qu’il y a de la place dès lors que l’on vise un segment de niche, que l’on est à l’écoute du consommateur avec une offre de qualité. Viser le marché transfrontalier permet également de générer une activité supplémentaire sans risque de cannibalisation et, en outre, de renforcer la proposition à un niveau plus global.

Qu’est-ce qui empêche tant de webshops de franchir le pas de l’e-commerce transfrontalier ?

Il existe plusieurs explications évidentes, comme les processus de livraison et de retour ou la concurrence accrue. Mais d’autres éléments jouent également un rôle. Par exemple la traduction du site qui constitue un investissement très lourd, même si l’anglais permet déjà de travailler dans une grande partie de l’Europe.

Ceci étant, je reste convaincu qu’un assortiment différencié sur lequel vous vous montrez transparent permet de gagner beaucoup de clients – et d’argent – à condition de le commercialiser correctement et d’être accessible. Vous devez également être présent là où votre client est. Je prévois donc que le commerce contextuel – le lieu où se déroule une transaction – jouera un rôle majeur dans les années à venir. Je pense aussi, qu’à terme, les transactions se dérouleront moins sur le site même du vendeur. Nous voyons, par exemple, que la jeune génération est très active sur les réseaux sociaux. Ces shoppers y trouvent l’inspiration, ils s’y rassemblent et veulent pouvoir y faire leurs transactions. Ils n’apprécient pas de devoir cliquer sur un autre site avant d’effectuer le paiement. Les webshops doivent donc être présents là où se trouvent leurs (futurs) clients.

Et comment PayPal compte-t-il répondre à ce nouveau défi ?

Actuellement, nos clients peuvent déjà utiliser les ‘shopping links’ de Buy Now. Nous travaillons avec Facebook et Messenger : nos clients peuvent commander Uber via Facebook. C’est rapide et facile. En outre, nous travaillons aussi avec Braintree, l’une de nos plates-formes de paiement, qui nous sert au traitement des cartes. Cette plate-forme facilite le processus de paiement à différents endroits. Nous sommes donc déjà très avancés en matière de commerce contextuel. Par exemple, nous offrons aux e-retailers la possibilité de disposer d’une troisième plate-forme pour y commercialiser leurs produits.

Je pense que saisir les opportunités qu’offre le paiement mobile ouvre des horizons en termes de croissance. Sans compter que d’autres opportunités apparaissent encore online : je songe évidemment aux réseaux sociaux mais aussi à Amazon, AliExpress et d’autres. Ces plates-formes permettent de proposer des produits et, partant, de développer son business.

Tout ceci nous amène à parler des technologies de paiement sans contact qui ont fortement évolué ces dernières années. Qu’est-ce qui retient le plus votre attention ?

Aux Pays-Bas, le paiement sans contact a pris une énorme ampleur puisque que cette technologie est utilisée dans 65% des cas ! Son succès est nettement plus mitigé en Belgique mais les choses devraient évoluer rapidement.

Je constate que l’on teste actuellement beaucoup de nouvelles technologies. Tout le monde souhaite faire des transactions mobiles le nouveau standard et l’on cherche – notamment au travers de tests – à déterminer le système le plus efficace. Que faut-il choisir ? Le scan d’un code QR ou le geste d’approcher son smartphone d’une borne de paiement ? La technologie est une excellente chose mais il ne faudrait pas oublier le client : elle doit lui offrir une réelle plus-value. C’est pourquoi lors de l’implémentation d’une nouvelle technologie de paiement, nous nous posons systématiquement la question de savoir ce qu’elle apporte au client.  En Belgique, nous disposons de nombreux outils de paiement mais, au final, l’objectif prioritaire doit rester de simplifier la vie au client. Investir dans de nouvelles technologies de paiement n’a de sens qui si elles ont une valeur ajoutée pour le client : un processus de paiement plus rapide, plus de sécurité, ... Si tel est le cas, nous sommes les premiers à examiner comment intégrer cette technologie à nos services. Bien sûr, les coûts sont toujours très élevés et la question est de savoir ce que cela coûte au consommateur. Après tout, c’est lui l’utilisateur final.

La ‘culture du consommateur’ semble être votre ligne directrice.

Absolument. Chez nous, tout tourne autour du client. Nous lui offrons de multiples possibilités ce qui, à mon sens, est le plus important. Jusqu’ici, le consommateur payait avec un carte de crédit et il nous revenait de choisir la ‘funding source’. Aujourd’hui, il veut payer comme il l’entend, que ce soit via Mastercard, Bancontact,... peu importe. Cette liberté de choix est extrêmement importante car elle permet de gagner la confiance du consommateur. L’objectif n’est pas de pousser le consommateur dans une certaine direction.

En fin de compte, c’est à nous de nous assurer de présenter correctement notre valeur ajoutée de manière à ce que le consommateur puisse se dire que nous lui proposons ce qui se fait de mieux. Aujourd’hui, beaucoup de consommateurs savent que PayPal est un moyen de payer gratuitement partout dans le monde. A cela s’ajoute que nous offrons un processus de paiement rapide et efficace, sans obligation de réintroduire à chaque achat les données d’expédition et avec la possibilité de retourner gratuitement la commande si elle ne répond pas à l’attente.  Car oui, nous prenons en charge les frais de retour. Il est important que nous insistions ‘lourdement’ sur cette valeur ajoutée de sorte que les clients continuent de choisir PayPal.

Pour en revenir aux technologies de paiement, laquelle vous semble la plus prometteuse ?

Comme je l’ai déjà mentionné, je pense que les transactions mobiles sont l’avenir. Je vous donne un exemple. La semaine dernière, je participais à un événement au cours duquel on nous a demandé d’ouvrir Facebook sur notre smartphone puis de passer notre appareil à notre voisin de gauche. Vous auriez dû voir la panique ! Si vous perdez votre portefeuille, c’est ennuyeux mais sur un simple coup de téléphone, la banque vous procure de nouvelles cartes. Par contre, en perdant votre smartphone, vous perdez tout. Les consommateurs attachent une valeur énorme à leur smartphone et ce sera de plus en plus le cas.

La technologie existe déjà pour effectuer des transactions entièrement mobiles, mais les choses traînent sur le plan de la réglementation. Je m’attends à voir de nombreuses nouvelles applications dans le domaine des paiements peer-to-peer. C’est ainsi que nous venons de lancer en Belgique PayPal Topup, une sorte de ‘crowd sourcing among the fence’. Je prends un exemple : à l’occasion d’un anniversaire, tous les amis sont invités à verser leur participation jusqu’à ce que soit atteint le montant nécessaire à l’achat du cadeau. L’avantage, c’est que vous voyez le compteur évoluer et que vous savez combien il manque pour atteindre le montant voulu. Je pense que le segment peer-to-peer possède encore bien des possibilités insoupçonnées.

Pour parler de l’avenir, j’en reviens aux prévisions de votre étude où l’on découvre que le secteur food devrait afficher la plus forte progression (+ 31%). Quelle forme voyez-vous émerger ?

Je pense que Picnic est un bon exemple de disruption. Cet entrepreneur a complètement repensé le concept du supermarché, s’affranchissant de toute forme d’héritage. Il décide lui-même du montant de l’investissement, de ce à quoi ressemble son ‘magasin’, de faire livrer les commandes par véhicule électrique,… Bref, c’est un concept qui fonctionne et qui est en pleine croissance dans un marché de niche. D’autres concepts, comme Hellofresh ou Marley Spoons, possèdent également un beau potentiel. Ces réussites me font dire que le secteur food offre  de belles perspectives.

Mais il existe aussi des marchés pour lesquels les prévisions sont nettement moins optimistes. On songe à celui de l’électronique pour lequel votre étude ne prévoit qu’une progression d’à peine 3%. Ce marché serait-il arrivé à maturité?

Je pense que ce marché (tant online qu’offline) est très saturé. Vous avez un certain nombre d’acteurs bien connus – Media Markt, Vanden Borre, Coolblue, ... – et les clients cherchent simplement celui qui offre le meilleur prix et livre le plus rapidement. Je ne pense pas que les choses doivent encore beaucoup bouger. La croissance est tout simplement arrivée à son terme.

Ce n’est pas du tout le cas pour les secteurs de la mode et des voyages. Autrefois, nous nous rendions dans l’agence de voyage de notre quartier. Aujourd’hui, chacun compose son voyage comme il l’entend, effectue les réservations, achète ses billets,… On observe une nette différence entre les générations : les jeunes ne craignent pas de prendre eux-mêmes les choses en main. Voyez comme lors du lancement d’une nouvelle PlayStation ils se précipitent pour la tester… et la maîtriser en moins de deux heures ! Leur mentalité et leurs habitudes sont très différentes. Je pense donc que l’avenir nous réserve encore beaucoup de changements car les possibilités sont tout simplement infinies.