La session spéciale de The Retail Society Non food du 13 septembre dernier a donné lieu à un débat passionnant entre ténors du DIY & Garden retail. Rudi Petit-Jean, futur ex- directeur de Gamma Belgique, Erwin Van Osta, CEO de Hubo et Rudi Schautteet, COO de  Brico et de Brico Plan-it ont croisé le fer sous la direction de Chris Van Wesemael, le spécialiste ‘home improvement retail’ de Gondola.

Malheureusement, les principaux acteurs de l’e-commerce étaient absents. Il en était de même pour le secteur du ‘garden’ pur, dont uniquement Rudi de Kerpel était présent à titre d’auditeur.

 

L’inertie du secteur ?

Le DIY & Garden retail belge est traditionnellement un secteur lent, connaissant peu de bouleversements, affichant un chiffre d’affaires d’une grande stabilité (même les années de crise) et où l’on retrouve souvent les mêmes têtes. Pour ce qui concerne le chiffre d’affaires, les dernières statistiques de GfK sont tombées tout récemment. Les mois de juillet et d’août – les ‘mois du bricolage’ – se sont révélés dramatiques : - 5% ! Autrement dit, le bénéfice d’un beau printemps est tout simplement perdu. (LFL -0,1% YTD). On croise les doigts en espérant que l’année se clôturera malgré tout dans le vert. 

La féminisation du public des bricoleurs, l’arrivée des Millénaires (les Smombies, comme les appelle Rik Vera), les phénomènes du ‘retour à la ville’, de l’habitat plus petit ou de la tendance à l’écologie n’ont pas significativement changé la donne.

L’e-commerce également a pris des années pour s’approprier une part du gâteau.

Un fournisseur nous confiait : « Il est difficile de se faire référencer chez un retailer, mais une fois que c’est fait, il faudrait tuer père et mère pour se faire éjecter. » Ajoutez à cela les bonnes marges et les problèmes typiquement belges (marché difficile, minimum 2 langues) et vous comprendrez mieux l’inertie du secteur.

Et quand un CEO, qui pendant plus de vingt ans a été l’un des visages emblématiques du DIY belge, décide d’aller voir ailleurs, c’est une véritable bombe qui éclate. 

Après avoir travaillé 25 ans chez Gamma, Rudi Petit-Jean (RPJ) quitte le secteur du bricolage pour relever un nouveau défi dans celui du food, faisant de son hobby son nouveau métier. 

Erwin Van Osta (EVO), CEO de Hubo Belgique est irrité :

« Je ne suis pas d’accord quand on parle d’inertie et de croissance lente. Pour moi, le D de DIY signifie dynamique. Après plus de 25 ans dans le secteur, mon regard est différent. En 1999, le chiffre d’affaires du secteur était estimé à 1,2 milliard : il est le double aujourd’hui. Nous sommes passé du concept de ‘bricolage’ à celui de ‘home improvement’ et nous avons intégré d’autres secteurs au nôtre.  Hubo est aujourd’hui, en superficie, le plus grand retailer non-food du pays. Je cherche depuis des années une dénomination qui décrirait mieux nos activités. Home improvement’ se rapproche de la réalité, mais ce terme n’est pas encore suffisamment explicite. »   

(NDLR : Erwin oublie un peu rapidement l’inflation : 1,2 milliard de 1999 valent aujourd’hui 50% de plus. Cela veut dire que le secteur a progressé de 50% en un peu moins de 20 ans, soit une croissance moyenne de 3% l’an, ce que l’on peut difficilement qualifier de dynamique. Et par rapport à l’ensemble du retail, il n’y a pas de quoi s’extasier. Les statistiques du SPF Economie donnent une croissance de plus de 60% pour l’ensemble du retail (à l’exception des carburants) ! A cause de l’élargissement de l’assortiment auquel Erwin fait également référence, on a observé en plus un glissement des ventes du commerce de détail au secteur du ‘DIY & Garden’). 

L’e-commerce également en progrès dans le secteur DIY & Garden 

Les chiffres sont frappants : (Sources, e.a. : Comeos e-commerce survey 2017; Chiffres Becommerce S1/2017; Etude The Retail Academy août/sept 2017)

  • 2016 – 2017 Données chiffrées (petites différences selon la source, mais  cohérentes dans l’ensemble)

    • Chiffre d’affaires e-commerce 6 premiers mois + 10%, total 4,9 milliards, extrapolation vers FY = 9,1 milliards

    • 42,3 millions d’articles achetés par 7,9 millions de personnes (pour les deux = + 2%)

    • Online = 17% de l’ensemble des dépenses

    • 118 euros en moyenne (2017)

    • 74% du public achète en ligne = 63% de la population Belge (= environ 7,1 millions de personnes) extrapolée

    • Dont 42% commande au moins une fois par mois

    • Dépense moyenne de 114 euros > dans le DIY et 147 euros dans le Garden (mais fréquence d’achat moins élevée – comparable aux chiffres des  magasins classiques)

  • Comportement d’achat (étude TRA)

    • Dans certaines catégories de produits, environ 6% des consommateurs indiquent que leur canal d’achat préféré est l’online ! (outillage électrique, décoration, éclairage)

A une exception près, toutes les chaînes disposent d’un webshop, avec ou non pilotage depuis le magasin (p.ex. Gamma). 

Gondola aurait voulu en savoir plus sur les résultats des ventes en ligne du ‘Big 3’. Quelle part de leur chiffre d’affaires total l’e-commerce génère-t-il ? Quelles catégories de produits se vendent le mieux sur internet ? 

Rudi Schautteet (RS), COO de Brico et président du secteur DIY & Garden chez Comeos :

« Les volumes restent très limités. Pour ce qui nous concerne, l’e-commerce représente à peine 1% de notre chiffre d’affaires, nettement moins que nos collègues hollandais soit dit en passant. Néanmoins, les ventes en ligne augmentent rapidement. Pour cette année, nous nous attendons à une progression de 50%. Contrairement à ce que prétend le consommateur, les catégories les plus performantes sont celles du jardin (grands volumes : meubles de jardin, barbecues, abris de jardin), des stratifiés et des articles de rangement. » 

EVO: « La question est très mal posée. L’e-commerce ne se résume pas exclusivement aux  ventes en ligne. Il faudrait parler en termes d’‘Everywhere commerce’. Les ventes en ligne génèrent 2 à 3% de notre chiffre d’affaires. Nous prévoyons également une forte croissance, un doublement de nos ventes. Nous nous concentrons donc sur l’amélioration de l’expérience client en ligne. Chez nous aussi les produits volumineux se vendent bien tout comme, bien entendu, les articles en promotion. Il existe de fortes différences au niveau de l’assortiment. En Europe, 20% du total des ventes de l’outillage électrique est issu de l’internet. C’est donc un secteur en plein boom. » 

Gondola : La forte croissance des activités en ligne impacte l’ensemble de l’entreprise : organisation purement pratique, stratégie, communication, gestion du personnel,  logistique, etc. Quelles sont les attentes à cet égard ?

RPJ: « Nos résultats sont encourageants, notamment en raison de notre approche multichannel avec les colonnes que nous avons installé dans nos magasins.

Le client a accès à tout moment à son produit. L’impact sur notre organisation est énorme et le plus dur reste à venir car nous n’en sommes qu’à l’aube de l’e-commerce. Il y a donc encore beaucoup à faire, également en matière de formation de notre personnel. Par ailleurs, la customer journey a totalement changé dans la mesure où le consommateur dispose de bien plus d’outils pour s’orienter. » 

RS: « Aujourd’hui, le consommateur a besoin d’inspiration. Il la cherche partout, donc également sur internet. Le changement est radical. Une fois ses recherches terminées, le consommateur souhaite passer à l’achat. Il nous appartient de lui donner la possibilité d’effectuer son achat de la manière qui lui convient le mieux : acheter en magasin, commander en ligne et venir retirer sa commande, se faire livrer à domicile,… 

Ce changement a un impact essentiel sur l’ensemble de l’organisation, également au niveau du magasin physique. Nous sommes confrontés au fait que, depuis toujours, nous avons demandé à notre personnel de remplir les rayons et de s’occuper le moins possible du client alors qu’aujourd’hui, la première chose qui lui est demandée est de s’occuper du client … tout en continuant à remplir les rayons. Le personnel de magasin doit développer ses capacités pour être en mesure d’informer correctement le client, sachant que ce dernier en sait parfois déjà beaucoup. Ce changement d’attitude et le développement de capacités sont les grands défis auxquels nous devons faire face. »  

Gondola : C’est ici qu’apparaît le lien entre personnel (informer) et logistique (remplir les rayons) 

EVO: « La ‘customer centricity’ est la nouvelle expression à la mode comme si, jusqu’ici, nous ne nous étions jamais préoccupé du client. Pourtant, nous n’avons jamais rien fait d’autre, il a toujours été au centre de notre démarche. Nous ne participons jamais à ‘La journée du client’ parce que, chez nous, c’est ‘L’année du client’ ! Je ne comprends donc pas pourquoi il faudrait faire les choses différemment aujourd’hui. Je pense néanmoins que nous devrions davantage conscientiser notre personnel sur la nécessité d’aborder le client différemment. Aujourd’hui, le client est ‘empowered’ et attend un changement d’attitude de la part des retailers. Au vu de la progression rapide de la numérisation, il n’est pas évident pour nos collaborateurs de rester dans le coup. Nous recherchons donc de nouveaux profils et c’est un fameux défi. Nous devons nous entourer des meilleurs pour pouvoir offrir à nos clients la meilleure expérience possible. »  ​

Gondola : La formation et le niveau de connaissance constituent de réels problèmes alors que l’élargissement de l’offre et la logistique sont de fameux défis en perspective. 

EVO: « Ce sont effectivement de solides défis. Je pense qu’il est préférable de sous-traiter la logistique à des entreprises spécialisées en la matière. Il existe des solutions mais la logistique reste un défi énorme, également sur le plan de la rentabilité, et qui exige des efforts considérables. » 

RS: « Je suis d’accord pour dire que c’est un défi mais ce n’est pas le premier ni le plus gros que nous aurons à affronter dans les années à venir. »

La pression des Pure players

Les Pure Players proposent de plus en plus d’articles de bricolage et de jardin tandis que de nouveaux acteurs apparaissent (fonQ p.ex.). Ils réalisent d’excellentes performances dans la catégorie Home improvement.

Aujourd’hui, le top 5 des sites e-commerce pour le home improvement s’établit comme suit : Amazon, bol.com, Brico, Hubo et Coolblue.

Gondola s’est demandé si les retailers traditionnels ne s’étaient pas fait enlever le pain de la bouche, à l’instar des entreprises de VPC comme La Redoute, les 3Suisses et d’autres. 

EVO (un peu étonné de ce que Brico soit si bien classé) : « C’est étonnant parce que j’avais d’autres chiffres en tête. Je ne pense pas que nous nous laissions enlever le pain de la bouche. Ce qui importe, c’est le ‘time to market’ et, sur ce plan, je ne crois pas que nous soyons en retard. Je suis même convaincu du contraire. Il est vrai que nous n’avons pas vu venir Coolblue, que personne n’a anticipé l’irruption des pure players. Ils nous ont doublés. Est-ce grave ? Non, mais cela a quelque chose d’effrayant. Pour nous, c’est un processus d’apprentissage. Les pure players sont pour nous une bonne école en raison des normes et des standards élevés qu’ils ont imposés. Comment pouvons-nous nous aligner ou faire mieux encore ? Le fait qu’Amazon rachète Whole Foods renforce ma conviction qu’il s’agit bien d’une affaire d’omnichannel. Il y aura un glissement du chiffre d’affaires vers le numérique, mais l’essentiel des ventes sera toujours réalisé dans les magasins physiques. Et s’il est vrai que de nouveaux concurrents pointent le bout du nez, il se ferme plus de webshops qu’il ne s’en ouvre. » ​

RS: « Je suis d’accord pour dire que nous nous sommes fait déborder et que nous apprenons de ces pure players. Mais nous avons le grand avantage sur eux de posséder des magasins, ce qui nous met en position de force. » 

Gondola : Voyez-vous la possibilité de reprendre des parts de marché aux pure players ou jugez-vous que la partie est perdue ou inégale ? 

EVO: « Je crois beaucoup aux market places et donc à la collaboration. Nous souhaitons que le projet que nous menons soit le ‘Hubolpointcom’ du secteur. Je ne veux pas que nous nous contentions d’assortiments limités mais, au contraire, que nous investissions dans une offre évolutive. La collaboration prend ainsi tout son sens. » ​

RS: « A l’heure actuelle, Brico n’envisage pas de collaborations, quelle qu’en soit la forme. Le client cherche toujours plus de conseils et nos magasins sont là pour répondre à sa demande. Bien entendu, il faudra être costaud dans les deux canaux. » 

La consolidation du secteur

La consolidation est aussi à l’œuvre dans le secteur du jardinage. En témoigne le rapprochement entre Horta et Belpet ou entre Van Gastel et Oh!Green. Et dans le secteur du bricolage, des commerces indépendants disparaissent tous les jours. Mais en la matière, nous sommes plus ‘lents’ que d’autres pays où l’on semble avoir mis un nouveau coup d’accélérateur (p.ex. Bricorama > Bricomarché en France, Bunnings au Royaume Uni,…).

Maxeda ne fait pas mystère de sa volonté de trouver un repreneur/investisseur et abandonne vraisemblablement – et enfin à notre avis – l’idée de revendre dans un unique et grand ensemble, voir même d’en faire une seule entité pour s’en défaire plus facilement (voyez la disparition de la formule Formido, absorbée par Praxis). Nous avons tous entendu parler des tensions autour de la décision de CRH (Van Neerbos bouwmarkten) de se défaire d’Intergamma. Pendant ce temps, les retailers allemands ne sont pas inactifs chez nos voisins du nord. A quand le tour de la Belgique ?

Si la réorganisation de Makro devait échouer, la porte serait largement ouverte à Hornbach. 

RS: « Ou à Brico Plan-it, évidemment. »

Quel sera le visage du DIY & Garden retail d’ici cinq à dix ans ? Y aura-t-il plus ou moins d’acteurs, plus ou moins de chaînes, plus ou moins de magasins, plus ou moins de  spécialisation ? Aujourd’hui, les secteurs Bricolage, Jardin et Déco se chevauchent l’un l’autre et cela va même plus loin puisque l’on trouve de l’herbicide dans le food retail.  

RS: « Les choses sont en train de changer, lentement il est vrai. Par rapport aux autres pays européens, nous avons encore beaucoup de commerces indépendants. C’est peut-être à ce niveau que cela va bouger mais cela pourrait prendre du temps. Par ailleurs, nous avons sur le marché belge quatre grands acteurs aux positions bien affirmées. Je ne vois pas trop ce qui pourrait changer dans l’immédiat. Pour ce qui concerne Maxeda, les rumeurs vont bon train depuis près de 10 ans et je constate que Maxeda est toujours bel et bien là aujourd’hui. Donc, je ne m’attends pas à une révolution du marché belge. »

EVO: « Je ne suis pas d’accord avec cette vision des choses. Des spécialistes m’ont expliqué que, dans tous les pays, il n’y avait jamais que deux grands retailers par secteur. Aux Etats-Unis ce sont Home Depot et Lowe’s, en France Groupe Adeo et Castorama, aux Pays-Bas Intergamma et Maxeda. Je constate qu’en Belgique nous avons quatre grands acteurs, donc deux de trop. Vous avez le leader du marché (Brico et Brico Plan-it) et nous-mêmes en solide numéro deux, du moins pour le moment. Pour les autres, la suite de l’histoire semble cousue de fil blanc. Gamma est numéro trois et est en partie à vendre. Brico n’est peut-être pas à l’abri non plus. Je pense par contre que l’avenir de Hubo s’annonce très florissant ! Je suis convaincu qu’il y a de la place pour un leader du marché et un challenger solide mais je crains fort pour les autres qu’il leur faille se trouver de nouveaux horizons. Je pense donc qu’il reste beaucoup à faire. Et ne perdons pas de vue qu’il y a encore d’autres acteurs sur notre marché. La consolidation qui s’annonce concernera également les fournisseurs. La mondialisation et la consolidation sont une évolution logique, même si le mouvement est plus lent chez nous. » 

Spécialisation – offre plus large – produits étrangers au secteur. Trois incontrounables : Attention, Offre et Assortiment et Trois P pour Promotion, Promotion et Promotion

C’est en ces termes que l’on pourrait décrire le DIY & Garden retail belge. Une description simple et sujette à controverse ?

Nous pensions avoir tout vu : des vélos, du papier hygiénique, des gaufriers, de la farine pour la pâtisserie, des bonbons, ... tous produits à des années-lumière du core business du bricolage ou du jardin. Mais voilà qu’aujourd’hui, le secteur fait plus fort encore : la vente de voitures (en leasing) ! 

Que reste-t-il du ‘métier’ ? Est-ce cela que le consommateur souhaite et attend ?

EVO: « Je ne suis pas d’accord. Et je vais même soutenir Rudi Petit-Jean et Gamma quand ils choisissent de vendre, par exemple, du papier de toilette. Nous ne le faisons pas et c’est une erreur car quel produit est plus ‘DIY’ que celui-là ? Donc, pourquoi pas. Faut-il pour autant copier Gamma est un autre débat. Le leasing de voitures est plus ‘radical’. Mais, en tout état de cause, nous devons nous défaire de cette connotation négative de ‘bricolage’. Parlons plutôt de home improvement ou d’enhancement, d’outdoor et d’indoor living. On pourra parler de ‘blurring’, de frontières de plus en plus ‘floues’, mais pourquoi pas ? Nous offrons au client ce qu’il demande, où et quand il le souhaite. Nous avons en effet pas mal expérimenté et pas toujours avec le succès escompté. Mais nous devons sortir de notre carcan. Regardez la profondeur de l’assortiment d’Amazon. Tout est évolutif. Prenons l’exemple du tapis plain : autrefois, c’était la chose la plus normale du monde que d’en trouver dans un magasin de bricolage. Ce n’est plus le cas actuellement. Par contre, il est ‘normal’ d’y trouver des produits pour animaux de compagnie, des meubles de jardin ou des piscines. Dès lors, pourquoi ne serait-il pas ‘normal’ de pouvoir y souscrire un contrat de leasing ? » 

RS: « Nous allons suivre une autre direction et nous concentrer davantage sur le home improvement au sens le plus large car nous constatons qu’avec les surfaces dont nous disposons, nous avons plus de possibilités de développer tout ce qui tourne autour de l’essence même de notre métier. Et, fort heureusement, il s’agit de longtail. Nous allons donc nous détourner des produits étrangers à notre secteur – présent aujourd’hui chez Maxeda et surtout Praxis – pour nous recentrer sur notre métier. » 

Gondola : Cette décision est-elle influencée par les résultats de Praxis avec ces produits étrangers au secteur ? 

RS: “En partie, oui.”

Par ailleurs, à côté de ce ‘flou’ qui peut mener à moins de professionnalisme, on voit s’élargir l’offre de produits réellement professionnels (p.ex. en outillage électrique mais aussi de la peinture, etc.). N’y a-t-il pas là un contraste étonnant avec des assortiments plus larges et composés de produits étrangers au secteur ? Comment peut-on être à la fois semi-pro et ‘bricoleur’ ? 

EVO: « Je me dois d’apporter un correctif : ce que vous et nos concurrents considérez comme des produits étrangers au secteur, nous estimons qu’ils en font bel et bien partie. Et il n’y a aucun problème à vendre des produits dits professionnels. Voyez le rachat par Home Depot de deux grossistes pour professionnels. Home Depot prend donc le parti d’approcher le client à différents moments : d’un part quand il a besoin d’un appareil professionnel – ce qui est très clair avec l’outillage électrique par exemple – pour mener à bien des travaux de rénovation et, d’autre part, quand il a besoin de quelque chose de plus ‘léger’ pour effectuer des travaux de décoration. Ce ‘flou’ est également effectif sur le plan des assortiments. Même chose du côté des fournisseurs. Je songe à une certaine marque d’outillage électrique qui, à une certaine époque, n’aurait jamais accepté d’être commercialisée dans un magasin de bricolage. Aujourd’hui, on la trouve chez Brico, Gamma et Hubo. Les fournisseurs changent de stratégie pour aborder le consommateur et, en outre, les prix des outils professionnels ont diminué ce qui les rapproche des appareils dits de ‘bricolage’. La frontière entre DIY et Pro deviendra plus floue. »

RS: « Nous mettons le client au centre de nos préoccupations et il existe différentes manières de le faire. A un moment donné, nous avons cherché une formule de dépannage : Brico City est un petit magasin convenience qui ne commercialise pas de produits hautement techniques. Vous avez également des clients occupés à des travaux de transformation et qui ont donc besoin d’un matériel de qualité et très robuste. Il me semble donc logique de travailler à satisfaire ses besoins et, que de leur côté, les fournisseurs examinent également comment développer leur marché. Il nous semble plus logique de franchir le pas vers des produits plus professionnels que de commercialiser des produits étrangers au secteur. » ​

Il n’existe plus de consommateur unique. Les nouvelles générations (les Millénaires et la génération Z plus encore) ne sont plus aussi ‘faciles’. Elles ont du ‘jardinage’ ou du ‘bricolage’ une perception différente de celle des générations précédentes. Il n’est pas rare qu’elles ne sachent pas comment planter un bulbe ou forer dans un mur.

Ne sommes-nous pas, tous, en train de manquer l’opportunité d’aider ce consommateur qui, ne trouvant pas dans les magasins classiques les informations dont il a besoin, se tourne ‘contraint et forcé’ vers l’e-commerce ? 

RS: « Je ne suis pas du tout d’accord avec l’idée que les jeunes ne bricoleraient plus. Ils ne bricolent peut-être plus au point de construire une maison et de devenir quasiment des bricoleurs professionnels (les statistiques attestent en plus que l’âge de l’acquisition d’une maison est toujours plus élevé, ndlr). Il est vrai cependant qu’ils ont besoin de plus d’aide, aide qu’ils trouvent en partie sur internet. Mais, d’autre part, nous organisons des workshops qui leur permettent de se familiariser avec les produits et donc d’être aidés comme ils le souhaitent. Nous pourrions certainement nous inspirer de nos collègues hollandais en mettant en place une hotline que l’on peut appeler en cours de travaux. Nous avons donc un rôle à jouer pour que l’envie de bricoler se matérialise en projets réels. » 

EVO: « Autrefois, les connaissances se transmettaient de père en fils. Pour ma part, je n’ai pas appris à mon fils à bricoler. Mais je suis d’accord avec Rudi quand il dit qu’il n’y a là rien d’aussi dramatique que certains veulent le faire croire. Ceci étant, les jeunes générations ont effectivement besoin d’aide et c’est un défi pour nous. La bonne nouvelle c’est que de nombreux appareils sont devenus beaucoup plus faciles à utiliser. » 

Le comportement d’achat du consommateur 

The Retail Academy et Gondola Non Food travaillent actuellement à une étude sur le comportement d’achat du consommateur DIY & Garden. Menée au niveau national, elle a déjà rassemblé plus de 2 500 consommateurs. Nous vous livrons en primeur (les résultats ne seront publiés qu’en novembre) quelques statistiques étonnantes sur le choix du retailer.  Beaucoup de consommateurs ont un magasin – DIY ou Garden – préféré. Il est important de connaître les raisons de cette préférence et surtout les différences qui existent Garden retail et DIY retail. 

Pour le jardin, le consommateur est motivé par : l’assortiment, la proximité, le rapport qualité/prix (les scores des autres motivations sont inférieurs à 30%).

Pour le bricolage, les motivations sont sensiblement différentes : le rapport qualité/prix, le prix, l'assortiment, la proximité, les promotions.

Cependant, plus avant dans le questionnaire, le consommateur a indiqué qu’il plaçait sur un pied d’égalité trois motivations pour l’achat de ces produits : le rapport qualité/prix, le prix, la qualité.

Cette étude sera présentée lors de la Gala Night de The Retail Society. Vous pouvez également commander les . Cliquez ici.

Ceci montre clairement que, ces dernières années, le secteur du bricolage a fonctionné (et fonctionne encore) à coup de promotions. Le consommateur a été ‘éduqué’ à adopter un comportement d’achat dicté par les promotions. Bien entendu, les marges en souffrent. 

Est-ce une bonne stratégie et, si non, comment sortir de cette spirale nocive ?

RS: « On ne peut nier que, ces dernières années, nous avons usé et abusé de promotions sous toutes les formes imaginables. Le prix est devenu le seul élément concurrentiel. A l’avenir, nous devrons abandonner le recours systématique aux promotions et nous montrer beaucoup plus créatifs, notamment sur le plan de l’assortiment. » 

EVO: « La principale différence entre les secteurs jardinage et bricolage réside dans l’assortiment lui-même : le secteur jardinage possède des assortiments plus life style, plus basés sur l’expérience. Les promotions sont incontestablement beaucoup plus fortes dans le secteur du bricolage. Et là, je me tourne vers mes collègues car j’ai noté que, cette année, Brico avait déjà fait 14 promotions ‘over all’ de -15% à -20% (pour 13 à la même époque l’an dernier), tandis que Gamma en comptabilise 19 cette année, pour 14 l’an dernier, avec des ristournes de -15% voire même de -21%.

Tous deux accélèrent donc le rythme de leur stratégie de promotions. Chez Hubo nous pensons autrement, préférant travailler sur certains articles ou certains assortiments. La stratégie de nos collègues-concurrents va invariablement impacter leur rentabilité. J’aimerais que l’on puisse stopper cette spirale nocive et que nous nous concentrions sur d’autres choses. Montrons-nous plus créatifs avec les promotions. Hubo n’est pas encore en ‘phase terminale’ sur le plan des promotions. Quand cela cessera-t-il ? Quand il n’y aura plus de cash. »

Quelles sont les possibilités de stopper cette spirale infernale : une approche différente du consommateur, l’inspirer davantage ? 

EVO: « C’est une question à laquelle Hubo n’a pas besoin de répondre… » 

RS: « Des différences existent entre les enseignes mais, globalement, il est clair que nous avons tous abusé des promotions. Comment en sortir ? En nous focalisant sur d’autres assortiments, sur l’expérience de consommateur, sur le service, en magasin et en ligne. »

Les rapports de force 

S’il est une chose qui a changé au cours de ces dix dernières années, c’est le rapport de force entre retailers et fournisseurs.

A une époque où ne parlait encore que de, grosso modo, deux marques – une marque et A et une marque B – les fournisseurs décidaient ‘quoi, où et à quel prix’. Mais internationalisation et globalisation aidant, les chaînes et les groupements d’achat sont montés en puissance et le rapport de force s’est inversé en faveur des retailers. .

Peut-être faut-il y voir la conséquence des atermoiements du retail face à l’e-commerce, combinés à la pression que fait peser sur eux l’ouverture des frontières, toujours est-il que le vent tourne à nouveau en faveur des fournisseurs qui ouvrent aujourd’hui leurs propres webshops. Les exemples ne manquent pas.  

Comment considérer cette nouvelle donne ? S’agit-il d’une menace, d’une évolution logique ou d’une opportunité ? Cela modifie-t-il votre positionnement par rapport aux fournisseurs sur le plan de leurs propres importations, des MDD, du glissement vers des marques B,… ?

EVO: « Selon le moi, le pouvoir est passé dans les mains du consommateur. Retailers comme fournisseurs doivent veiller à lui offrir à tout moment ce qu’il désire. Mais je constate également que certaines marques, je songe ici à une marque de nettoyeurs haute pression, ont lancé un business en ligne ce que je n’apprécie pas vraiment. Quand elle se présente, nous essayons de saisir l’opportunité de collaborer avec nos fabricants, même si ce n’est pas simple. Les marques fortes peuvent évidemment profiter de l’occasion pour entrer elles-mêmes en contact direct avec le client, sans intermédiaires. La seule question est de savoir si toutes les marques en sont capables sur la durée et de manière rentable. S’il ne peut pas se réorienter, cette situation met également la pression sur le commerce de gros. Nous essayons de collaborer avec les grossistes et de créer une place de marché qui non seulement donnerait une valeur ajoutée à leur logistique mais permettrait de mieux aborder le consommateur. Ceci dit, il faut bien l’avouer, les choix de certains fournisseurs ne nous réjouissent pas et nous prenons parfois des mesures à l’égard de ceux qui ne partagent pas notre vision tout en restant persuadés que nous pourrons continuer à collaborer avec la grande majorité d’entre eux. » 

RS: « Il s’est effectivement produit un glissement, des retailers vers les fabricants. Mais, désormais, c’est le client qui a pris les rênes. Le yo-yo entre MDD et marques A a toujours existé et rien ne devrait changer à l’avenir. La question est de savoir comment collaborer de manière optimale avec les fournisseurs pour pouvoir offrir au client le bon produit, au bon moment et au bon prix. Un fameux défi ! »

Enfin, Gondola aurait aimé savoir comment, compte tenu des nouvelles habitudes de consommation, le ‘Big 3’ se voyait à l’horizon 2025. En l’espèce, nous ne devons pas perdre de vue qu’un consommateur est un produit de la société : personne ne naît consommateur, nous sommes ‘formés’ à le devenir, influencés par toute une série de facteurs (y compris sous l’action du retail et des marques).

RS: « Je ne peux vraiment rien prévoir. Se projeter si loin nous fait courir le risque de passer à côté d’un consommateur qui évolue de plus en plus vite et, donc, d’être totalement dans l’erreur. Le grand défi pour les prochaines années sera de répondre beaucoup plus rapidement aux signaux que nous donne le marché. Bien sûr, nous serons dans un marché beaucoup plus axé sur le convenience. Nous allons devoir nous montrer beaucoup plus réactifs. » 

RPJ: « La difficulté est que nous ne pouvons rien prévoir. Le défi consiste à être suffisamment souple que pour pouvoir s’adapter rapidement au marché. Nous serons différents mais je ne peux dire en quoi. Nous devrons être capables de changer rapidement et de collaborer sur diverses plates-formes. La loi nous obligera également à considérer le marché autrement. Je songe ici aux subsides octroyés par les autorités en matière de rénovation de l’habitat. Quand on sait que plus de 2,2 millions de maisons sont concernées, notre secteur dispose encore d’un fameux potentiel. »

EVO: « Je suis heureux de constater que Brico et Gamma ignorent à quoi ressemblera le secteur en 2025 parce que moi je le sais ! 2025, c’est demain. Je résumerais ma vision du futur en trois points. Tout d’abord, ‘less is more’, ce qui signifie qu’il y aura moins d’acteurs, tant du côté du retail que de celui des fournisseurs.  Moins, mais plus forts. La tendance à la consolidation que nous avons évoquée se renforcera. Mon deuxième point est ‘less is more’. Nous en avons plein la bouche de termes comme ‘valeur’, ‘expérience’, ‘expérience client’,… mais que signifie réellement cette fameuse expérience ? Comment, en tant que retailer, puis-je la faire vivre à mon client ? Il existe de nombreuses formes d’expérience : événements, animations, expérience produit, prix,… Les jardineries offrent davantage de possibilités. Par ailleurs, nous vivons à une époque où l’on n’a jamais autant parlé de ‘valeur(s)’ mais je constate que le prix reste la ‘valeur’ première. Les discounters ont beau se repositionner, ils conservent leur stratégie axée sur les prix. Le prix reste un déclencheur important pour le consommateur. Pour ma part je ne parle plus du prix d’un produit : je dis d’un produit qu’il doit être ‘abordable’. Enfin, mon troisième point est ‘less is more’, c’est-à-dire rester simple. Car tout devient d’une grande complexité. Que faisons-nous réellement des ‘big data’ ? Nous avons besoin de ‘smart data’. On nous demande comment nous allons composer avec l’économie de partage. La question est un peu bête parce que cette économie existe depuis longtemps. Voilà des années que l’échelle du voisin est le produit de bricolage le plus partagé. Aujourd’hui, on essaie de créer un modèle qui existe depuis toujours. On le constate aussi avec la voiture : les jeunes ne tiennent pas à en posséder une à tout prix. » 

La rapidité et la capacité à placer le client au centre de sa démarche : voilà l’important. Pourquoi ne pas envisager le ‘retailtainment’ : on ne parlerait plus de storytelling mais de storydoing !