"Merci aux politiques : grâce à eux, la Belgique a irrémédiablement manqué le train de l'e-commerce. Ils ont réagi bien trop tardivement aux bouleversements qui agitent le retail. C'est malheureusement typique de la manière dont fonctionne ce pays." Déclaration de Marc Descheemaecker, président de De Lijn et invité de la Gala Night de The Retail Society le 23 novembre.

Marc Descheemaecker n'est pas homme à garder sa langue en poche. Le président de De Lijn est une forte tête. Il acquiesce : "A  62 ans, je n'ai plus à me taire au prétexte que certains préféreraient ne pas entendre ce que j'ai à dire."

Vous tenez les politiques pour responsables du fait que le retail belge a manqué le train de l'e-commerce ?

Ils ont réagi bien trop tardivement à ce qui se jouait pour le retail parce qu'ils n'ont pas compris les enjeux. Et ils ont laissé les entreprises néerlandaises s'arroger les plus belles parts du gâteau. C'est malheureusement typique de notre politique. Tout est trop lent. Nous n'avons pas été en mesure d'adapter la législation sociale à la réalité du commerce électronique.

Pouvons-nous encore rattraper notre retard ?

Non. Le train est passé. Les grands centres logistiques, qui desservent aussi bien la Belgique que les Pays-Bas, sont établis à Breda et Tilburg, de l'autre côté de la frontière. On pourrait comparer la situation actuelle à un marathon : si vous commencez votre course au moment où les autres concurrents ont déjà parcouru dix kilomètres, vous ne pourrez jamais refaire votre retard. C'est, hélas, la situation du retail belge. Nous arriverons peut-être à grignoter quelques parts de marché mais le handicap structurel est trop important que pour pouvoir espérer mieux.

Le retail belge dépend des politiques mais ceux-ci auraient jeté l'éponge ?

Absolument. Les politiques belges ont, passez-moi l'expression, bousillé l'e-commerce dans notre pays. La fragmentation du paysage politique est telle que, même pour aboutir à des demi-compromis, le processus est d'une lenteur infinie. Je compare volontiers la Belgique à New York. New York compte 12 à 13 millions d'habitants, soit un peu plus que la Belgique. Le corps de police new-yorkais compte plus de personnel que notre armée. Et pourtant, cette ville fonctionne avec un seul maire et cinq échevins. C'est donc possible. Et la mobilité ? Une fois encore, la fragmentation des niveaux de pouvoir est telle qu'il est impossible de mettre en place une politique de mobilité efficace. La réalité c'est que nous sommes dépassés par d'autres pays alors que nous possédons d'énormes atouts logistiques.

Vous êtes très remonté contre les Pays-Bas ?

Oui. Autrefois, le mardi était la pire journée en matière d'embouteillages. Mais aujourd'hui, c'est le lundi. Nos routes sont encombrées par les camionnettes de livraison hollandaises parce que, tout le week-end, nous avons fait nos emplettes sur internet et que nos commandes nous sont livrées depuis les Pays-Bas. Comme quoi, l'e-commerce impacte considérablement notre mobilité.  

La situation est-elle meilleure au niveau européen ?

Honnêtement, j'en doute. 2008 a marqué un tournant capital dans l'histoire contemporaine : les pays dits en voie de développement ont commencé à produire plus que les pays dits développés. Personne n'en a parlé parce que nous étions trop occupés par la crise bancaire qui menaçait l'économie mondiale. Mais la vérité est imparable : l'Europe n'est plus le centre du monde et les conséquences sont énormes pour l'innovation, l'investissement et la consommation. Je pense que nos arrière-petits-enfants apprendront que 2008 a été un tournant majeur dans l'histoire européenne.

Comment voyez-vous l'évolution de la consommation ?

Le phénomène de disruption que l'on observe aujourd'hui va se prolonger un moment encore. Quand vous observez comment les banques détruisent leurs outils retail, vous comprenez combien cette rupture est radicale et combien elle le sera aussi pour de nombreux autres retailers. Et quand je vois comment les banques qui opèrent des coupes sombres supplémentaires en sont récompensées en bourse, pas de besoin d'épiloguer longuement… A l'heure actuelle, il n'y a qu'une seule certitude : les problèmes que pose la disruption vont croître et embellir ! Amazon, tout comme Zalando d'ailleurs, possède une grande influence sur les retailers. Et l'on voit aussi apparaître d'autres initiatives, comme HelloFresh. Il est une question que vous devez vous poser : Zalando et Amazon sont-ils des retailers ou sont-ils des géants des data ? Parce c'est grâce à leurs données clients que ces entreprises font la différence. Les retailers vont devoir imaginer une réponse.