« Il y a aujourd’hui énormément de concurrence sur le marché du frais (…) mais je suis persuadé qu’il reste de la place, y compris pour les indépendants », affirme le futur ex-CEO d’UpFresh, Gil Dumarey, dont la collaboration avec l’entreprise spécialisée dans les produits frais prendra fin ce vendredi.

Comment peut-on encore se différencier dans le frais aujourd’hui ?

Vu les récentes évolutions chez UpFresh (qui a récemment fusionné avec Franky Fresh Food, ndlr) cette question est très actuelle et pertinente. Un premier point de différenciation est sans aucun doute le ‘shopper journey’ qui se digitalise. Celui-ci doit être simple et en même temps constituer un véritable outil de vente qui évolue en fonction du type de client ou du canal de distribution. Un autre point repose évidemment sur l’assortiment, mais également sur le packaging des produits. Je pense par exemple au fait qu’il y a de plus en plus de célibataires, de ‘single households’ en Belgique, or ces derniers ne trouvent pas toujours des conditionnements adaptés à leurs besoins spécifiques. Enfin, un troisième point de différenciation est de disposer d’une chaîne d’approvisionnement hyper-performante qui permet de servir et livrer ses clients de manière efficace et à haute fréquence.

De manière générale, le consommateur belge n’a pas encore véritablement pris l’habitude de commander ses produits frais en ligne, il aime encore voir la marchandise, la sentir, la toucher… Mais les choses évoluent, grâce aux retailers traditionnels ou aux e-retailers, mais également aux indépendants. On voit de plus en plus de bouchers, d’épiciers, de boulangers, etc. qui disposent d’une plateforme web pour prendre les commandes, voire livrer à domicile. Il s’agit donc d’un espace encore relativement vierge dans lequel il est possible de se différencier. Sans oublier qu’il y a toujours beaucoup de canaux dans lesquels le shopper ne trouve pas des produits frais qualitatifs. Raison pour laquelle chez UpFresh nous avons par exemple commencé à développer des plats de haute qualité destinés aux commerces des stations-service ou encore aux night shops.

De nos jours, les gens veulent manger sain, mais ils veulent aussi que cette nourriture soit facilement accessible, partout, tout le temps.

Absolument. Pour bon nombre de personnes, la liste de courses pour la semaine, c’est terminé. Les jeunes notamment préfèrent désormais choisir le jour même ce qu’ils vont manger et se faciliter la vie au maximum. Ils ne veulent plus perdre trop de temps à faire leurs courses, à cuisiner, etc. Cette recherche de 'convenience' peut consister à se faire livrer ses produits frais à la maison, commander des box-repas qui permettent de préparer un repas sain en 20 minutes, mais cela peut également passer par des plats traiteurs en bulk ou en portion consommateur de haute qualité. Par contre, le week-end, on prend davantage le temps, on va au marché, chez un boucher ou un fromager spécialisé, on réalise des plats plus élaborés, etc. C’est vraiment une tendance que j’observe : en semaine, les choses doivent être faciles et pratiques, et le week-end, on vise davantage le qualitatif.

Avez-vous observé d’autres grands changements dans le secteur ces dernières années ?

Au niveau des indépendants, nous constatons qu’une petite partie des acteurs évolue vers des magasins hautement spécialisés tandis qu’une autre partie, la plus grande, est en pleine mutation vers des commerces consacrés au frais au sens large. En boucherie par exemple, cette évolution a commencé avec l’arrivée dans l’offre de produits traiteur, avant de s’élargir encore avec dans certains cas désormais un comptoir de fromages à la découpe, différents choix de tapas, voire des produits de boulangerie ou des fruits et légumes. Et inversement, les magasins de proximité des enseignes du retail se positionnent de plus en plus dans le frais.

Avec quelles conséquences sur la concurrence ?

Il y a aujourd’hui énormément de concurrence sur le marché, et pas seulement dans le foodservice et le retail. Le ‘blurring’ est en pleine action, avec notamment toute une série de nouveaux acteurs qui commencent à prendre des parts de marchés considérables, comme les fournisseurs de box-repas, la e-delivery de produits frais, les distributeurs automatiques en frais, etc. Pourtant, je suis persuadé qu’il reste de la place, y compris pour les ‘pure players’. Mais uniquement pour ceux qui misent sur la haute qualité ou pour ceux qui se positionnent bien, en s’érigeant par exemple comme le ‘one-stop-shop’ du frais dans leur quartier. Là où l’indépendant peut faire la différence par rapport aux retailers, c’est dans le service à la clientèle, le storytelling autour du produit et le savoir-faire. Quant aux retailers justement, ils doivent eux aussi se réinventer. Ils doivent redevenir une destination pour le consommateur et lui donner l’envie de se déplacer, car celui-ci dispose désormais de beaucoup d’autres canaux à même de lui faciliter la vie. Pourquoi les franchisés indépendants sont-ils responsables de la majeure partie des profits des enseignes ? C’est entre autres parce qu’ils se focalisent énormément sur le frais. Lorsqu’on entre dans ce type de magasin, on se retrouve directement dans la boulangerie, on sent l’odeur du pain, on voit de la charcuterie, des fromages, des tapas… Le frais est un levier pour la profitabilité car il est souvent synonyme de qualité, et les gens se déplacent pour la qualité. On voit également apparaitre de plus en plus d’initiatives tournées vers davantage de service, je pense notamment aux ‘shops in shop’.

Par conséquent, à quelles évolutions vous attendez-vous au cours des prochaines années ?

J’en vois plusieurs, à commencer par le ‘protein shift’. Les produits végétaux qui sont déjà omniprésents dans les rayons des retailers vont de plus en plus apparaître sur les présentoirs des boucheries, épiceries fines, etc. Les Nutri-Score, Eco-Score et autres ‘ethic-score’ feront également leur entrée dans le secteur du frais, que ce soit en pré-emballé ou en bulk. Les emballages biodégradables prendront aussi plus d’ampleur. Le plastique est encore partout pour des raisons de conservation, mais je suis convaincu que la technologie évoluera vite. Et pour conclure, mon souhait pour l’avenir est de voir nos jeunes entrepreneurs, qui sont au début de leur carrière, oser à nouveau opter pour les métiers du frais et s’investir dans la connaissance du produit et de toute la chaîne afin de protéger notre héritage riche en produits frais. Car bien manger fait partie de notre culture.