Le vol est un problème difficile pour les détaillants. Les Pays-Bas ont opté pour la fermeté : les voleurs pris sur le fait doivent indemniser immédiatement le commerçant. La Belgique doit-elle s’inspirer de l’exemple néerlandais ? Quelle est la position du ministre de la justice Koen Geens (CD&V) ?

Un homme ‘tout ce qu’il
 y a de convenable’ fait
ses courses dans un supermarché de la petite ville néerlandaise d’Almelo. On est vendredi et les clients se pressent dans les allées. Mais l’attention du personnel du magasin est attirée par le comportement suspect du septuagénaire si bien mis : il ne met pas tous les articles dans son caddie mais en glisse quelques-uns directement dans son sac. Lorsqu’un employé l’intercepte à la caisse, l’homme rebrousse chemin et tente de remettre les articles dans les rayons. Peine perdue. L’employé appelle la police. Il s’avère que le client indélicat est un récidiviste : c’est la 31ème fois qu’il est interpellé pour tentative de vol à l’étalage et il était déjà interdit d’entrée dans plusieurs supermarchés, ce qui réduisait d’autant son ‘espace de travail’. Il avait été condamné à une kyrielle d’amendes et même incarcéré brièvement sans que cela ne l’incite à s’amender.

Le système ‘Afrekenen met Winkeldieven’ (‘Se débarrasser des voleurs’)

Certes, l’exemple est un peu extrême, mais il montre bien combien le problème du vol à l’étalage est difficile à éradiquer et d’y apporter une réponse satisfaisante. C’est ce qui a incité les Pays-Bas à opter pour une approche intransigeante du phénomène, approche qui se révèle être nettement moins frustrante pour les commerçants. En quoi consiste-t-elle ?

Le système ‘Afrekenen met Winkeldieven’ (‘Se débarrasser des voleurs’) – qui est également le nom de la fondation chargée de la gestion du problème – permet aux commerçants d’intervenir eux-mêmes pour faire arrêter le voleur. Celui-ci est contraint de payer
une indemnisation de 181 euros à titre de dédommagement pour le préjudice occasionné, notamment le temps que le commerçant a passé à régler l’affaire. Pour bénéficier de cette indemnisation, le commerçant doit déposer plainte à police. Muni du numéro du PV, il peut se rendre auprès de la fondation ‘Afrekenen met winkeldieven’ qui a encaissé l’argent auprès du voleur au nom du commerçant.

Ce système est un succès. La fédération du retail néerlandais affirme, qu’aujourd’hui, trois quarts des plaintes déposées par les commerçants donnent lieu à une indemnisation immédiate. 
En 2013, l’année où le système a été lancé, le pourcentage était déjà de 60%. Les progrès sont évidents mais l’organisme estime qu’il reste encore beaucoup de points à travailler. Les commerçants se montrent parfois peu enclins à déclarer les vols car ceux-ci ne constituent pas une priorité pour les services de police. Le temps que prend le simple dépôt d’une plainte et le manque de suivi ont également un effet dissuasif. En dépit de ses imperfections, la Belgique lorgne avec beaucoup d’envie sur le système néerlandais. L’enquête annuelle de Buurtsuper.be, organisation de retailers food liée à l’Unizo, laisse apparaître que 70% des exploitants de magasin sont mécontents de l’absence de poursuites consécutives à des délits de vol en magasin. Une autre enquête de la même organisation constate que les vols dans les supermarchés ont augmenté de 10% en 2015.

L'Unizo appelle à un système similaire en Belgique

Pour 2016, les statistiques de la police fédérale font état de 5.407 vols en magasin, soit 15 par jour. Mais, forcément, de nombreux vols passent inaperçus ou ne sont pas déclarés parce que, selon certains commerçants, cela ne sert à rien. Pour l’Unizo, il est grand temps d’agir et de préférence en appliquant le système néerlandais qui punit immédiatement le voleur. Dans le chef du commerçant, l’intérêt est évident : quelle que soit la suite réservée à sa plainte, il est indemnisé du préjudice subi.

Les supermarchés sont les principales victimes du vol à l’étalage. Les statistiques de l’Unizo indiquent que ce poste représente, en moyenne, 1% de leur chiffre d’affaires. C’est énorme quand on sait que les marges bénéficiaires des supermarchés indépendants oscillent entre 1,5 et 2%. La police et le parquet ne faisant pas de ce problème une priorité, les commerçants se sentent abandonnés.

Bien que Buurtsuper.be plaide depuis des années en faveur de procédures accélérées dans tous les arrondissements judiciaires, ce type de mesure ne semble pas représenter une priorité pour
la Justice. Dans le cas d’une procédure rapide, l’auteur des faits paie aussitôt une amende et une indemnité de dédommagement via un règlement amiable immédiat. En échange, ceci met fin à toute procédure pénale. De telles chambres de comparution immédiate n’existent pas encore partout. Buurtsuper.be plaide dès lors pour une approche différente. Le commerçant déposerait plainte à la police qui établirait un procès- verbal, à la suite de quoi réparation pourrait être exigée auprès du voleur. Une autre possibilité serait que le voleur remplisse immédiatement un formulaire d’indemnisation et paie sur place pour le dommage occasionné. Dans 
ce cas, le déferrement devant le parquet ne serait plus nécessaire.
 Autre avantage : le désengorgement
des tribunaux alors que la justice
est déjà confrontée à un arriéré considérable et à un manque de moyens. Finalement, tout le monde s’y retrouverait.

Le système néerlandais semble porter ses fruits puisque, l’an dernier, il aurait permis 
de récupérer 2,5 millions d’euros sur les biens volés. On comprend que l’Unizo et les diverses organisations professionnelles envient leurs collègues d’outre Moerdijk.

Publication d'images sur les réseaux sociaux

Vols et voleurs causent une frustration énorme dans le chef des commerçants. Il arrive que, excédés, certains publient des photos ou des vidéos sur internet ou les partagent dans des groupes fermés sur Facebook. Ce genre de pratiques tombe sous le coup de la loi sur la vie privée, mais l’exaspération est telle que certains n’en ont cure. On songe à un groupe Facebook appelé ‘winkeliers verklikken winkeldieven’ (‘les commerçants dénoncent les voleurs’). On peut y lire ceci : « Prévenez vos collègues commerçants lorsque vous être victime d’un vol perpétré par un client, le personnel ou un fournisseur. Vous pouvez également désigner les personnes suspectes de sorte que vos collègues soient informés. Indiquez toujours l’endroit où le délit a eu lieu. Ceci est un groupe fermé auquel seuls les commerçants ont accès et sur lequel on peut poster des photos ou des vidéos des vols perpétrés. » Cette pratique est parfaitement illégale et, d’ailleurs, l’Unizo insiste pour dire que l’objectif n’est pas que les commerçants prennent eux-mêmes le problème en main. Certaines initiatives, souvent imaginatives, ont pourtant été présentées qui pourraient contribuer à résoudre le problème. On songe ici au système imaginé par deux commerçants : le spotcrowd est une plate-forme qui permettrait aux commerçants de partager les images de vidéosurveillance pour attraper les voleurs. Un logiciel rendrait méconnaissables les visages des clients du magasin de sorte de ne pas violer leur vie privée. Celui qui verrait un voleur opérer avertirait le commerçant concerné et serait récompensé de son intervention. Ce système permettrait de résoudre un problème commun à de nombreux magasins : faire visionner les écrans de surveillance par du personnel salarié est bien trop coûteux. Mais le ministre en charge de la vie privée, Philippe De Backer (Open VLD), a déjà prévenu de l’illégalité du système : les images de vidéosurveillance peuvent être remises à la police mais ne peuvent, en aucun cas, être mises en ligne sur internet. Cette plate-forme ne verra probablement jamais le jour mais illustre à sa manière le désarroi et la frustration des exploitants de supermarché mais aussi leur souhait de voir le système néerlandais appliqué en Belgique. Il existe pourtant des alternatives, telle celle d’Anvers où, l’an dernier, la comparution immédiate a été réinstaurée et qui a permis de faire comparaître les voleurs dans les deux mois maximum.

Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) a laissé entendre que ses services s’intéressaient au système néerlandais. « Le ‘règlement amiable immédiat’ est déjà d’actualité dans différents parquets et est l’une des pistes que nous examinons. Il en existe d’autres, apparentées à la comparution immédiate et au règlement amiable. J’ai appris par la presse que l’Unizo souhaitait suivre l’exemple des Pays-Bas où un partenaire privé (la fondation ‘Afrekenen met Winkeldieven’ - ‘Se débarrasser des voleurs’) encaisse l’indemnisation au nom du commerçant lésé. En tout état de cause, j’estime que le droit pénal doit rester d’application pour les affaires graves. C’est d’ailleurs inscrit dans
 le Plan Justice. Nous avons contacté l’Unizo pour connaître leurs propositions et en peser les avantages et inconvénients. Nous verrons quelle suite leur réserver. »

Dernier élément de réflexion : les enquêtes menées aux Pays-Bas font apparaître que les consommateurs sont favorables au fait de faire payer immédiatement une indemnisation aux voleurs. Le Gouvernement néerlandais lui- même a communiqué sur son site les résultats d’un sondage : 23% des consommateurs interrogés étaient favorables au système et
 70% très favorables. Concernant le montant de l’indemnisation – initialement de 151 euros – 48% des personnes interrogées le jugent correct, 22% le trouvent insuffisant et 18% nettement insuffisant. Ce montant est passé aujourd’hui à 181 euros. Enfin, 46% des personnes interrogées estiment que l’indemnisation peut être exigée dès l’âge de 12 ans et 25% dès l’âge de 16 ans. 

 

Cet article est tiré d'un plus large dossier dédié aux problématiques de sécurité en points de vente paru dans la précédente édition du Gondola Magazine. Vous souhaitez en apprendre davantage, mais n'êtes pas encore abonné ? Cliquez dès à présent ici !