Confrontés à une hausse inédite des coûts, de nombreux fabricants réduisent le volume de leurs produits sans ajuster le prix. Une stratégie qui n’est pas sans risque : face à ce phénomène, la moitié des consommateurs n’hésitent pas à changer de marque. « Les clients qui découvrent que des entreprises agroalimentaires réduisent le volume de leurs produits sans en ajuster le prix se sentent floués. »

Des rouleaux de papier toilette avec moins de feuilles, des barquettes de fromage à tartiner plus petites, des sachets de chips avec plus d’air à l’intérieur : les consommateurs la remarquent rarement, mais la « shrinkinflation », traduite par réduflation en français, est une pratique courante dans l’agroalimentaire. Surtout quand les producteurs cherchent à absorber une hausse des coûts de l’énergie et des matières premières. Mais la résistance s’organise : aux Pays-Bas et en France, des organisations de consommateurs sont passées à l’action. Une pétition lancée par l’ONG foodwatch France a ainsi recueilli plus de 40.000 signatures, alors qu’une hotline a été mise en place aux Pays-Bas. Et une enquête américaine montre même que près de la moitié (48%) des consommateurs n’hésitent pas à changer de marque quand ils découvrent qu’ils ont été « victimes » de réduflation. Ce qui ne surprend pas Edgar Dworsky, qui étudie la « shrinkflation » aux États-Unis depuis les années 1980 et en rend compte sur consumerworld.org : « Les clients qui découvrent que des entreprises agroalimentaires réduisent le volume de leurs produits sans ajuster le prix se sentent floués. Et la pratique est pourtant assez fréquente. Les fabricants savent que les hausses de prix sont un sujet sensible et cherchent par conséquent d’autres techniques pour répercuter la hausse des coûts à laquelle ils sont confrontés. »

Principalement des produits quotidiens

Il est malheureusement impossible de calculer l’ampleur du phénomène, commente Audrey Morice (foodwatch France) : « Mais nous savons que le nombre de cas augmente en période d’inflation. Il concerne principalement des produits de tous les jours que les consommateurs mettent dans leur caddie sans trop y penser : du fromage à tartiner, du chocolat, du sucre... On a moins tendance à comparer pour ce type de produits. » Ces derniers mois, la réduflation a également touché des produits de papeterie où les coûts ont explosé, indique Edgar Dworsky : « C’est également une pratique fréquente dans les céréales pour petit-déjeuner. Mais aussi dans les biscuits, les chips et les bonbons, ainsi que les crèmes glacées. Les sachets de chips étaient même devenus si petits que les fabricants les ont à nouveau agrandis, mais en augmentant le prix cette fois. » Pour Edgar Dworsky aussi, il est impossible d’estimer l’ampleur du phénomène.

Vigilance

Les fabricants flirtent avec l’illégalité, embraie Audrey Morice. « Une réglementation européenne interdit bien de tromper le consommateur, mais son application dans la pratique reste floue. Le gouvernement français pourrait cependant s’appuyer dessus pour édicter une réglementation claire. C’est du moins ce que nous espérons. » À la Fevia, la fédération de l’industrie alimentaire belge, le porte-parole Nicolas Courant souligne qu’il n’y a aucune tromperie. « Il existe un cadre juridique clair et très strict en matière d’étiquetage des produits alimentaires et des boissons. Les entreprises qui réduisent les portions doivent modifier leur étiquetage pour garantir la transparence aux consommateurs. Il est donc faux de parler de réduction “cachée” des volumes, et il n’est pas question de tromperie. Même s’il est et reste évidemment important pour les consommateurs de faire dees choix informés, de lire les étiquettes et de comparer les produits. » Edgar Dworsky : « Je pense que les consommateurs doivent surtout être vigilants. Ce n’est pas facile, mais être un consommateur responsable demande du travail. Beaucoup ne s’en rendent pas compte. » Nicolas Courant (Fevia) : « En fait, il faudrait inscrire ce phénomène dans le cadre d’une question plus large sur la valeur de l’alimentation : en tant que consommateurs, sommes-nous encore suffisamment conscients de la valeur des produits alimentaires et des boissons que nous achetons et des investissements consentis par les différents maillons de la chaîne pour rendre ces produits savoureux, sûrs, durables... ? Le débat se focalise trop souvent sur le prix le plus bas, alors que l’alimentation dépasse largement cet aspect. »