"Marketing is Finance is Business" est le titre du livre qu’a récemment écrit Chris Burggraeve, anciennement actif chez Procter & Gamble, Coca-Cola et AB InBev. Un must pour tout professionnel du marketing, selon Fons Van Dyck. "Les spécialistes du marketing et les directeurs financiers ne parlent pas la même langue."

Chris Burggraeve vit et travaille actuellement à New York, mais il est de passage à Londres lorsque nous nous entretenons. Il parcourt le monde pour parler, enseigner, conseiller en matière d’administration et d’investissements dans des start-ups. Chris Burggraeve a débuté sa carrière en tant que responsable marketing pour la marque Pampers de P&G, est devenu directeur marketing Europe pour Coca-Cola, puis a rejoint AB InBev, où il a occupé le poste de Chief Marketing Officer et membre du Comité exécutif de 2007 à 2012. Un leader mondial actif aujourd’hui dans l’univers du cannabis. Il a investi de l'argent dans Toast, une petite entreprise qui fabrique des joints pré-roulés, et a fait la même chose sur une place de marché en ligne pour le cannabis. Il soutient que le cannabis devrait devenir un produit de consommation ordinaire, tout comme la bière. Mais si nous lui nous adressons aujourd’hui à lui, c’est principalement en raison de son récent livre, dans lequel il combine des décennies d’expérience en tant que spécialiste du marketing : Marketing is Finance is Business.

Quel est le message principal de votre livre ?

Le problème avec beaucoup de spécialistes du marketing, c'est qu'ils ne parlent pas la langue des gens de la finance. Par exemple, combien de spécialistes du marketing savent ce que l'alpha signifie pour les investisseurs ? Très peu, d'après un sondage que j'ai fait moi-même. C'est simple : si vous ne le savez pas, en tant que spécialiste du marketing, vous n'avez rien à faire au plus haut niveau. Il faut savoir comment un investisseur, un PDG, un directeur financier ou un conseil d'administration pense, ce qu'il fait, quelle pression il subit. L’alpha est le rendement exceptionnel que vous obtenez en tant qu'investisseur en plus du rendement attendu. C'est ce que tous les investisseurs recherchent. L’alpha diffère d'une entreprise à l'autre, car le profil de risque est différent d'une entreprise à l'autre. Mais cela mis à part, mon message est le suivant : les spécialistes du marketing devraient parler beaucoup plus la langue de Wall Street. Dans les conseils d'administration des sociétés publiques, il n'y a que 2,6% de spécialistes du marketing. Ce n'est rien du tout. Et ce n'est pas une coïncidence.

Selon vous, les spécialistes financiers n’ont eux non plus pas de réelles connaissances en matière de marketing…

Non, les investisseurs ne comprennent pas le marketing. Ils ne savent pas ce que c'est, c'est une inconnue pour eux. Ils pensent qu'il s'agit de gérer les médias sociaux, de faire de la publicité ou d'emballer des produits. Les spécialistes du marketing doivent expliquer beaucoup plus clairement ce qu'ils font et pourquoi ils sont au cœur de l'entreprise. Pour moi, un bon marketing, c'est un pouvoir de prix durable, c'est de cela qu'il s'agit. La tarification est le moyen le plus efficace de créer de la valeur durable pour une entreprise. C'est pourquoi les spécialistes du marketing doivent s'impliquer dans les discussions qui se déroulent au niveau du conseil d'administration. Mais je ne vois pas ça.

Vous ne croyez pas à la pensée globale, vous regardez plus loin : think galactic.

Oui (rires). J'ai un faible pour les voyages dans l'espace depuis que je suis tout petit. Je vois cela comme une source d'inspiration pour voir plus grand. Les voyages spatiaux ont un impact énorme sur les produits que nous utilisons tous les jours. C’est le moteur de l'innovation digitale que nous observons aujourd'hui autour de nous. Mais par-dessus tout, je vois ça comme une façon de voir plus grand.

Dans votre livre, vous élaborez un modèle qui indique avec une note ce qu'une entreprise vaut en termes de marketing.

Tout le monde connaît les agences de notation Moody's et Fitch, qui indiquent par une notation ce que vaut une entreprise ou un pays en termes financiers. Eh bien, avec le modèle que j'ai élaboré, je fais la même chose, mais pour la valeur du marketing d'une entreprise ou d'un pays. On peut avoir une valeur triple moins en termes de marketing, ce qui signifie pas une condamnation : c'est seulement une indication pour les investisseurs que peu ou rien ne se passe en termes de marketing dans une entreprise. Cela aide à évaluer la valeur d'une société.

AB InBev, où vous avez été directeur du marketing pendant de nombreuses années, a fait de moins bons résultats ces dernières années. Pourquoi ?

Je ne pense pas qu'il y ait un problème structurel, ce sont des difficultés à court terme auxquelles chaque entreprise doit faire face. Ce que j'aime chez AB InBev, c'est que c'est une entreprise familiale qui est aussi cotée en bourse. Elle combine le meilleur des deux mondes : elle a la vision à long terme d'une entreprise familiale, mais en même temps, en tant que société cotée, elle doit penser à court terme. Je pense que les entreprises les mieux gérées combinent toujours les deux. Je crois fermement en AB InBev. La bière existe depuis longtemps et perdurera encore longtemps.

Pour vous, le cannabis devrait devenir un produit de consommation, tout comme la bière.

Je suis convaincu que c'est ce que les gens veulent aussi. En Belgique, il y a encore beaucoup de réticences et de craintes parmi les politiciens à ce sujet, parce qu'il y a très peu de connaissances à ce sujet. Il y a beaucoup de fake news. Les consommateurs sont déjà beaucoup plus avancés dans leur réflexion. L'année dernière, j'ai réalisé une étude de marché auprès de 1.000 Belges. Plus de la moitié (56%) étaient en faveur de l'usage médicinal du cannabis, tandis que 28% étaient en faveur de son usage récréatif pour toute personne âgée de plus de 18 ans. Chez les jeunes, ces pourcentages étaient encore plus élevés. La politique ne suit pas, mais ce n'est pas un problème : les consommateurs sont toujours en avance sur la politique. Les hommes politiques devront suivre, mais avec le temps, nous trouverons le bon équilibre entre réglementation et entrepreneuriat.

Quel genre de fake news se répand sur le cannabis ?

Que c'est un tremplin vers des drogues plus lourdes. Regardez ce qu'en dit l'Organisation mondiale de la santé : ce n'est pas une drogue d'introduction. Le cannabis est du même ordre que le café, le chocolat ou la bière. Vous ne devriez pas en consommer trop. C'est précisément la raison pour laquelle j’aimerais créer un marché légal. Cela créerait une énorme valeur ajoutée pour la Belgique. D'après ce qui existe déjà aux États-Unis, notre pays créerait de 28 000 à 35 000 emplois. C'est six fois plus que Ford Genk. Sans parler des impôts que le gouvernement pourrait percevoir : entre un et deux milliards et demi d'euros. Je pense que mon expérience au cours des dernières décennies m'a placé dans une très bonne position pour apporter le cannabis au consommateur d'une manière saine et légale. En Belgique, nous avons énormément de connaissances médicales et biotechnologiques, et bien, le cannabis pourrait être la biotech 2.0 chez nous.

Vous êtes l'un des rares leaders du marketing international en Belgique. Pourquoi?

Je pense qu’il s’agit surtout de raisons personnelles. Je voulais développer une carrière internationale, je l'ai toujours gardé à l'esprit. Je ne savais pas exactement à quoi elle ressemblerait, mais c'était un but. J'ai toujours cherché des défis marketing au niveau mondial. Je n'avais pas non plus peur de jouer un rôle de pionnier. Pour Coca-Cola, je suis allé en Europe de l'Est, où peu de gens en avaient envie de travailler à l'époque. C'est ce que j'ai fait. Si vous y parvenez, vous attirerez l'attention des gens et vous passerez à l'action. Une autre chose qui était importante, c'est que j'ai toujours considéré le marketing comme un élément business. Une marque n'est pas une fin en soi. Cette façon de penser a été décisive pour moi et pour le parcours que j'ai suivi.