Un tremblement de terre pour le retail: le géant de l'e-commerce Amazon absorbe la chaîne de supermarchés Whole Foods Market, pour la coquette somme de 13,7 millards de dollars, devenant aux Etats-Unis un concurrent à part entière pour les ténors du secteur.

On rappellera que Whole Foods Market est une chaîne de supermarchés américaine (aussi présente au Royaume-Uni) positionnée dans le segment haut de gamme, et particulièrement celui des produits bio. L'acquisition est la plus importante jamais réalisée par Amazon, qui confirme et renforce par là ses ambitions sur le marché des achats alimentaires, qui n'auront plus seulement vocation à être couvertes par le canal digital. L'annonce ce vendredi de l'opération par les deux entreprises concernées résonne comme un coup de tonnerre, tant pour le secteur digital que celui de la distribution traditionnelle. L'entreprise de Jeff Bezos précise sa menace envers celle-ci, à un moment où les retailers "brick & mortar" ne sont de leur côté pas parvenus à trouver la parade à opposer online au géant de Seattle.

Amazon avait étudié dès l'automne dernier le scénario de cette reprise, avant de s'en désintéresser. Ce sont les difficultés récentes rencontrées par Whole Foods qui auraient réanimé le dossier. La chaîne bio a perdu a la fois des clients et de la valeur en bourse, et elle souffre de la concurrence. L'enseigne sera maintenue  - y compris son nom - après la reprise a confirmé le fondateur et CEO d'Amazon Jeff Bezos en évoquant quatre décennies de succès de la chaîne: "Ils travaillent de façon fantastique et c'est bien ce travail que nous entendons poursuivre". Wole Foods a atteint en 2016 un chiffre d'affaires de 16 milliards de dollars, elle possède un parc de 460 magasins aux Etats-Unis, au Canada, et au Royaume-Uni. Elle emploie environ 87.000 collaborateurs.

Amazon avait certes laissé paraître des signes avant-coureurs de sa volonté de présence à travers des magasins physiques, avec Amazon Go, son expérience-pilote de supermarchés sans caisse.  "L'annonce est un signal fort pour tout le secteur du retail, et encore plus celui des enseignes américaines (parmi lesquelles figure aussi Ahold-Delhaize" considère Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola, qui s'attend à une pression concurrentielle accrue, et même à un futur rachat d'enseigne sur le concurrent européen.  " La reprise de Whole Foods vérifie à nouveau la convergence des canaux physique et digital. Aux Pays-Bas, Ahold avait suivi le chemin inverse en reprenant le portail bol.com " ajoute Pierre-Alexandre Billiet en insistant sur la capacité désormais renforcée d'Amazon à connaître les patterns de consommation alimentaires de ses clients: ce qu'ils achètent sur les différents canaux et à quelle fréquence. "Plus de 80% de nos habitudes d'achat se reproduisent. Les magasins classiques devront miser pour survivre sur l'expérience d'achat, et pour le reste, deux autres types de magasins s'affirmeront: les low cost d'une part, et le commerce de luxe où l'expérience est un critère de visite à part entière."  

Dominique Soenens

Le commentaire de la rédaction: un choc pour le food retail !

Jeff Bezos se demandait pas plus tard que hier soir via son compte twitter à quelle destination philantropique il pourrait employer sa fortune personnelle, donnée pour 85,2 milliards de dollars, et qui risque bientôt de dépasser celle de Bill Gates. Il vous est toujours loisible de lui formuler vos propositions en la matière. Mais pour ce qui est du trésor de guerre de son entreprise, Amazon, l'homme d'affaires n'a pas besoin de conseils: il sait parfaitement comment l'employer.

L'annonce qui vient d'être faite de l'acquisition de la chaîne de supermarchés bio Whole Foods Market pour la somme de 13,7 milliards constitue un tremblement de terre pour tout le secteur de la distribution alimentaire. L'idée de ce rapprochement avait circulé depuis 2016, et plus généralement, plus les mois passaient, plus tous ceux qui suivent ce marché considéraient l'acquisition d'un distributeur "brick & mortar" par Amazon comme inéluctable. Avec une capitalisation boursière de 400 milliards de dollars, le double de celle du N°1 mondial du secteur (Walmart), le géant de l'e-commerce de Seattle avait l'embarras du choix. Celui de Whole Foods est judicieux: forte personnalité et assortiment bio différencié gage de valeur perçue, affinité sociologique entre la génération des digital native et l'esprit bobo branché de la clientèle Whole Foods.

En s'offrant un distributeur alimentaire ayant pignon sur rue, Amazon vient de se créer une tête de pont physique sur le marché de la distribution alimentaire, qui va accélérer sa crédibilité sur ce terrain qu'elle n'occupe jusqu'ici qu'à travers le service Amazon Fresh. De quoi inquiéter les opérateurs classiques sur ce marché: Amazon peut ajouter à sa puissance financière à la fois sa domination du web marchand et les ressources technologiques qu'elle développe sans cesse pour se rapprocher des moments de vie du consommateur. On a beaucoup parlé d'Amazon Go, et de sa démonstration visionnaire d'un magasin sans caisse. On n'oubliera pas les boutons Dash, qui permettent au consommateur de se réapprovisionner du bout du doigt, ou d'Alexa, l'interface vocale intelligente qui a pour vocation de se greffer sur une foule de produits de votre quotidien.

Née de la vente de livres et CD, Amazon est devenue aujourd'hui ce que les créateurs facétieux des légendaires dessins animés de la série Roadrunner avaient imaginé avec "ACME Corporation", le logo qui apparaissait sur tous les pièges semés en pure perte par le coyote sur le trajet de l'oiseau supersonique. ACME, ou "A corporation making everything". Les ambitions d'Amazon n'ont plus de limites. Livres, musique, alimentation, hardware, véhicules automobiles, fusées spatiales. Ce n'est pas l'accès au marché de la distribution alimentaire qui allait lui faire peur. Et c'est plutôt l'entreprise de Jeff Bezos qui inquiète désormais beaucoup de monde dans le retail.  Comme le roadrunner évoqué plus haut, Amazon vient de donner un fameux coup d'accélérateur, sans qu'on sache si on pourra l'arrêter. Beep beep.

Christophe Sancy