L’avenir du retail ne repose pas entre les mains de la Silicon Valley, ni de l’Europe, mais bien entre celles de l’Asie et de la Chine plus précisément, affirme Pascal Coppens, spécialiste de l’empire du Milieu. « Le consommateur chinois incarne le consommateur de demain. »

Cela ne fait plus aucun doute : le siècle à venir sera celui de la Chine. Pascal Coppens (49 ans) le sait mieux que quiconque. Sinologue de formation, il a vécu et travaillé en Chine pendant près de vingt ans et est aujourd’hui un conférencier fortement sollicité dans ce domaine. Il a d’ailleurs conseillé différentes entreprises technologiques européennes qui tentaient de s’implanter dans ce pays et y a également lancé une entreprise de logiciels dédiée aux événements. « C’est comme ça que j’ai appris à connaître le retail. Beaucoup de nos clients provenaient de ce secteur : Cartier, Gucci, Nike, Adidas, BMW, etc. J’en suis fermement convaincu : l’avenir du retail, c’est la Chine. »

D’où vous vient cette certitude ?

J’ai plusieurs raisons. Tout d’abord, ‘l’orientation client’, dont on parle tant en Occident, y est beaucoup plus poussée. L’Occident développe une technologie, avant de rechercher un marché. La Chine fait l’inverse : elle commence par vendre des produits et avant de chercher quelle technologie peut être développée autour. Et peu importe ce qu’on vend. Prenons un exemple concret : nous fabriquons un seul iPhone, qui doit convenir à tout le monde. Eux, en conçoivent des centaines. Ils se focalisent beaucoup plus sur le client. Quand on connaît l’exigence et l’impatience des consommateurs chinois, ça se comprend. Il faut aller vite. Et ils donnent ainsi le ton, pour le monde entier.

Les retailers chinois détiennent par ailleurs bien plus de données que leurs concurrents occidentaux.

Tout à fait. Incroyablement plus. Le retail chinois est dominé par deux grands acteurs, Alibaba et Tencent, les plus importants actionnaires de JD.com. Ils possèdent une quantité ahurissante de données car ils proposent tout ce dont le consommateur a besoin : promotion, e-commerce, cartes de paiement, logistique, médias sociaux. Imaginez : vous êtes client et dénichez un joli sac à main sur les Champs Élysées, à Paris, au prix de 3 000 euros. Eh bien, vous pouvez obtenir un crédit en cinq minutes, sur la seule base de votre comportement d’achat. Ils disposent d’une montagne de données, dont rêvent les retailers occidentaux. Et pour couronner le tout, ils misent également sur l’Intelligence Artificielle pour le service personnel, la personnalisation des produits et des services, l’emballage, le design… C’est pourquoi, je le répète : le retail de demain naîtra en Chine. Le pays s’est d’ailleurs déjà imposé dans l’univers de l’e-commerce, qu’il dominera bientôt à 50 %, selon certaines prévisions. Aujourd’hui, il a déjà passé la barre des 27 %. Lors de la Fête des célibataires, le 11 novembre, JD et Alibaba ont enregistré un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros, soit trois fois plus que la Belgique en un an.

Sont-ils aussi avancés en matière de shopping offline ?

Non, sur ce plan-là, ils ont un temps de retard. Cette année, Tencent et Alibaba vont mener une véritable guerre du retail, en vue de numériser et d’automatiser un maximum de magasins physiques. Amazon parle d’Amazon Go depuis un moment, mais en Chine le nombre de magasins automatiques et semi-automatiques devrait exploser dès cette année. D’ici l’année prochaine, Alibaba entend y numériser 1,5 million de magasins. Aux États-Unis, Amazon a peu de concurrence et n’a pas besoin d’accélérer le rythme. En Chine, c’est une autre histoire, il faut prendre de l’avance.

 

A ce propos, vous parlez d’« omo sapiens ». Qu’entendez-vous par là ?

Ce terme a été inventé par Kai-Fu Lee, le fondateur de Google China et actuellement CEO de Sinovation Ventures. Il signifie « Offline Merges with Online ». Pour les consommateurs chinois, la différence entre l’expérience online et offline est encore mince. Ils peuvent se tourner vers leurs retailers pour les deux, sans distinction. Ce qu’ils veulent, dans les deux cas, c’est une expérience agréable. Jetez un œil aux sites web chinois, vous y trouverez beaucoup plus de ‘babioles’. Et beaucoup plus d’informations aussi. En Chine, chaque magasin prend des allures de parc d’attractions.

Les retailers chinois se tournent eux aussi vers l’Europe. Tencent s’est associé à Carrefour China et Alibaba collabore avec Auchan China.

D’ici 10 ans, Alibaba entend que ses activités internationales génèrent 50 % de son chiffre d’affaires. Un chiffre astronomique à l’échelle de la Chine. Tencent nourrit lui aussi des ambitions internationales. Toutefois, les deux acteurs déploient des stratégies différentes pour y parvenir. Le premier pense comme un promoteur immobilier, tandis que le deuxième cherche à collaborer avec les retailers occidentaux. C’est que les deux entreprises sont différentes. Alibaba est issu de l’univers de l’e-commerce et peut plus facilement percer dans le reste du monde et se concentrer sur l’immobilier. En revanche, Tencent est issu des réseaux sociaux. Mais ils se rapprochent et la lutte sera dure. Surtout en matière de commerce en ligne. Bol.com aura du fil à retordre. Ils vont devoir s’y préparer sérieusement, et bien réfléchir.

Comment pourrions-nous réagir ?

En reprenant certains éléments du retail chinois, comme leur excellente orientation client par exemple. Nous devons oser pousser ce concept plus loin, beaucoup plus loin. Idem pour les big data et l’intelligence artificielle. Sur ce plan-là, ils l’emportent haut la main. Pour les entreprises souhaitant pousser la porte du marché chinois, il s’agit de trouver des niches où la concurrence n’est pas aussi rude que sur le marché des consommateurs. Ce dernier n’est peut-être pas inaccessible, mais il faudra alors collaborer avec les retailers chinois, gardiens des données du marché.