En vue de dresser les principales tendances de l’année à venir, nous avons sollicité le concours d’une spécialiste du Retail et des FMCG, issue d’un prestigieux bureau d’études. Evi Van Uffel, Business Director Consumer Goods & Retail de GfKBelgium, analyse pour nous l’état du marché, délivrant ses précieux conseils aux fabricants et aux retailers.

A quelles évolutions peut-on s’attendre ?

C’en est fini de penser en silos. Le professionnalisme du secteur se traduit par la transversalité : il est essentiel de posséder des spécialistes ayant des connaissances tous azimuts. Il faut être à l’aise sur tous les marchés et être capable de faire sienne la ‘shopper journey’. Pour comprendre le client, il est indispensable de sortir de son silo, car il ne pense plus de manière compartimentée. Nous voyons que les entreprises doivent se montrer de plus en plus flexibles. Les objectifs à court et à long terme ont tendance à se confondre et les deux doivent continuellement être gérés en parallèle. L’entreprise doit être capable de modifier quasi instantanément de direction car tout peut changer du jour au lendemain.  Le business évolue à une telle vitesse que les professionnels doivent avoir parfaitement intégré le concept de flexibilité, car il leur faut sans cesse naviguer entre les deux types d’objectifs et les adapter ou les corriger si nécessaire. Cela demande aux entreprises une flexibilité top down jamais vue jusqu’à présent. Les lignes décisionnelles se sont raccourcies et les structures organisationnelles se sont aplanies, même dans un contexte international.

N’est-il pas dangereux de penser davantage à court terme ?

Parce que tout évolue plus vite et que les pockets of growth sont difficiles à trouver, il est impératif que chaque acte que vous posez ait un impact immédiat. Une innovation, une action promotionnelle, une étude de marché… on attend des résultats immédiats. C’est comme si nous n’avions plus la possibilité de procéder par essai et erreur, ce dont nous avons pourtant besoin. Car malgré un environnement qui ne cesse de changer, l’entreprise doit se laisser la possibilité d’une marge d’erreur, erreur dont elle tirera parti dans d’autres circonstances. 

Le marché étant à ce point saturé, peut-être s’agit-il de ne pas laisser la moindre ouverture à la concurrence ? 

Le marché belge serait saturé ? Albert Heijn arrive tout de même à s’y installer. En tout cas, on peut prédire davantage de concentration sur tous les plans. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait plus de place pour de nouvelles initiatives. Voyez Cru, le marché artisanal du frais de Colruyt. Le marché FMCG est effectivement saturé. Il ne croît qu’avec l’augmentation de la population mais cela ne signifie pas qu’il n’a plus de potentiel. Comment croître encore ? En identifiant les besoins des consommateurs qui recèlent encore des potentialités. Pour cela, il faut analyser méticuleusement le comportement des consommateurs et, plus précisément, les ‘bénéfices’ et les ‘occasions’ qu’ils recherchent. Autrement dit, la segmentation est un outil essentiel. En vous focalisant sur le marché moyen, vous n’arriverez à rien car le ‘consommateur moyen’, la ‘famille moyenne’, le ‘panier moyen’ et ainsi de suite, n’existent plus. Il faut penser du point de vue du consommateur et de ses besoins. Je songe à cette nouvelle marque, Method, qui comble des besoins qu’aucun autre produit n’avait comblés jusqu’ici.

L’innovation est donc la clé de la croissance ?

Absolument. Attention, il ne s’agit pas de lancer une ‘nouvelle saveur’ mais bien de développer des innovations pertinentes, favorisant un haut taux de pénétration. Car cela reste le meilleur moyen de générer plus de ventes, un privilège qui n’est pas réservé aux seules marques A. Tout repose sur la pénétration, et l’innovation ou la rénovation permettent de la garantir. En collaboration avec Aimark et Kantar, GfK a mené une étude internationale. Nous avons œuvré dans 16 pays (dont la Belgique) et analysé 79 catégories au sein desquelles nous avons identifié quelques 8000 marques. Cette étude nous a appris que les grands vainqueurs en termes de parts de marché (en volume), le devaient à l’innovation (3% de leur part de marché) et à la rénovation (17%).

Le secteur ferait-il fausse route en misant sur les prix et les actions promotionnelles?

Jouer sur les prix et les promotions revient à manipuler le consommateur pour le convaincre d’acheter votre marque ou d’entrer dans votre magasin. C’est une politique de courte vue sur laquelle on ne construit pas de relations à long terme.

En outre, elle ne rapporte rien. Nos études ont démontré que 40% des promotions n’avaient aucun effet, c’est-à-dire qu’elles ne généraient pas de volumes supplémentaires ou n’incitaient pas le consommateur à changer de marque. Elles ne fonctionnent qu’auprès des ‘heavy buyers’ de la catégorie ou de la marque parce qu’ils achètent souvent, et souvent quand il y a des promotions. Finalement, vos clients fidèles sont ceux qui dépensent le moins. Avec les promotions, vous leur offrez simplement une prime de fidélité. Et pour couronner le tout, vous les conditionnez: ils se focalisent quasi exclusivement sur les prix. C’est ainsi que, pour les fabricants comme pour les retailers, les promotions sont devenues ‘mainstream’ et que ni les uns ni les autres ne se remettent en question de peur que les volumes baissent.

 

 

Les retailers deviendraient donc des discounters ?

 

J’oserais même dire l’inverse : les discounters deviennent des retailers. C’est en tout ce que j’observe aujourd’hui. Les retailers continuent de penser que c’est ‘le hard discount contre tous les autres’ et, en conséquence, ils décident eux aussi de jouer sur les prix car ils imaginent que les prix bas sont leur seule arme contre les discounters. Ils sont tellement obsédés par les prix qu’ils en arrivent à faire le lit du hard discount. C’est détruire de la valeur et donc nuire, à court et à long terme, aux marques A. Et pendant ce temps-là, Aldi et Lidl upgradent tranquillement leur assortiment, continuent de se diversifier et d’augmenter leur panier moyen. Lidl lorgne de plus en plus sur le frais, le rayon qui, par excellence, augmente la fréquence des visites en magasin et qui est aussi celui qui est le plus structurellement sous pression en Belgique. Aldi peut se targuer du plus haut taux de pénétration – 80% ! – auprès des ménages belges. Quasiment tous les ménages belges passent par la case Aldi !

 

 

Que peut-on dire du succès croissant des private labels ?

 

Le nombre de consommateurs qui  switchent entre le hard discount et l’open market d’une part, marques A et MDD de l’autre, ne cesse de grandir. Pourquoi ? Parce qu’ils ne compartimentent plus. Ils n’opposent plus les marques A et les MDD : elles ont chacune leur utilité, chacune à leur manière, au sein d’un même ménage. Il ne s’agit donc plus de l’un OU l’autre, mais bien de l’un ET l’autre. Un même ménage peut faire des choix très hétéroclites dans plusieurs catégories voire même au sein d’une même catégorie. Il achète, par exemple, des packs de 6 cannettes de Coca-Cola à 50 cents la canette parce que c’est la boisson parfaite devant la télévision, mais aussi des bouteilles d’eau de 2 litres à 40 cents la bouteille pour boire à table.

Au lieu de détourner le client d’Aldi en abaissant toujours plus leurs prix, les retailers devraient plutôt essayer de comprendre ce qu’il va y chercher. Tout ranger dans des petites cases pour se faciliter la vie empêche de voir la complexité de la réalité.

Il faudrait donc abandonner les promotions ?

Sûrement pas, mais n’oublions pas que les promotions et les prix bas servent avant tout à manipuler le comportement d’achat. Il y a mieux à faire, en inspirant le consommateur et en lui offrant une vraie expérience de magasin. Et il est tout à fait possible de faire les deux en même temps : l’inspirer avec des promotions. Prenez la campagne de Dr.Oetker à l’occasion de la Chandeleur. Le moment était parfaitement choisi : 47% des Belges mangent des crêpes ce jour-là. Dr.Oetker a lancé une promotion en rapport avec les besoins du moment du consommateur, mais en y couplant un volet ‘inspiration’ avec un concours de recettes. C’est comme ça qu’il faut faire : guetter les bonnes occasions et les besoins du consommateur et s’en servir pour augmenter son taux de pénétration.

Et quels sont donc les besoins du consommateur d’aujourd’hui ?

Ce sont des besoins très polarisants qui dépendent des bénéfices qu’il cherche à un moment précis. Il souhaite par exemple tout à la fois manger sainement et se régaler. Ou, il est à la fois très concerné pas l’écologie tout en appréciant le convenience. Comprendre les besoins et les motivations du consommateur est d’une importance vitale. S’il fait chaud, il sera peut-être prêt à payer plus cher une boisson fraîche alors qu’en hiver la question est sans objet. Dans le même magasin, une même boisson fraîche est disponible dans un frigo et en rayon à un prix inférieur. C’est là un simple exemple qui démontre que les besoins du consommateur changent au gré des ‘occasions’ et que ces occasions peuvent trouver place l’une à côté de l’autre dans le même magasin.

Si l’on parle d’évolution, on ne peut ignorer l’émergence d’internet et du digital.

A l’heure actuelle, fabricants et retailers sont, pour beaucoup, en phase d’observation : ils apprennent à comprendre le comportement digital et procèdent encore par essai et erreur pour déterminer leur meilleur positionnement. On pense qu’il faut aborder le digital comme un canal à part, qui serait réservé aux ‘choses digitales’. Alors que, bien sûr, c’est une approche totalement erronée. Il est bien plus important de commencer par observer et comprendre le comportement online du consommateur, car il y a déjà longtemps qu’il s’est plongé dans le digital. Le digital fait partie de sa vie de tous les jours, de sa ‘consumer journey’ et de sa ‘shopper journey’.

Et les courses en ligne ?

J’y vois un solide potentiel. Le taux de pénétration des achats FMCG online est de 8%. Les catégories qui attirent le plus sont sans conteste les catégories stock-up mais aussi les produits frais. Les groupes cibles les plus représentés sont les DINK (double income no kids) et les familles avec enfants en quête de convenience. Je ne pense pas que le taux de pénétration puisse brusquement grimper à 20% en 2016. Pour grandir, il va falloir être plus accessible/disponible. Tout commence et tout finit par le taux de pénétration et pour qu’il soit significatif, il faut être disponible et bénéficier d’un maximum de visibilité. Le food devrait bénéficier aujourd’hui du succès des autres webshop, non-food ceux-là. Je songe à une récente enquête de BeCommerce sur la période des fêtes de fin d’année qui génère 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, soit 14% du chiffre d’affaires total de l’e-commerce belge. Les produits de beauté, les produits alimentaires (y compris les boissons) et les articles de mode forment le top 3 des ventes sur internet. Du point de vue du consommateur, le potentiel est évident. Du point de vue de la rentabilité des fabricants et des retailers, la question reste posée.