Le secteur de la distribution ne manque pas de données ni d'excellents experts pour les analyser. Mais d'autres résultats de recherche sont trop souvent négligés. Chaque année, les étudiants de nos meilleures écoles de gestion ou de commerce terminent leur cursus universitaire en livrant un mémoire de fin d'études, et certains d'entre eux s'y intéressent à des sujets concernant notre secteur. Nous avons eu la chance de prendre connaissance des résultats du travail mené par Jill Rolland, Ingénieur de Gestion Solvay, sous la direction de Claude Boffa, Professeur de marketing et Directeur Académique de l’Executive Programme in Retail à la Solvay Brussels School of Economics and Management. Nous les remercions de nous avoir autorisés à en partager ici avec nos lecteurs les principales lignes de force.

1. Notions de base sur le e-commerce

- Il existe deux types d’acteurs (les pure players et les clicks and mortars) présentant chacun des avantages et inconvénients différents ;

- Le e-commerce est à l’origine d’une certaine cannibalisation des ventes en magasin et d’un phénomène de top-up shopping (regain des petits commerces de proximité pour les articles non achetés en ligne) mais il est encore très difficile de déterminer l’ampleur de ces deux effets à l’heure actuelle ;

- La grande différence avec le commerce en ligne est que le distributeur réalise le job que le client réalisait autrefois lui-même en magasin : la préparation et la livraison des commandes constituent deux étapes supplémentaires dans la chaine de valeur ;

- Pour les réaliser, il existe de nombreuses configurations différentes : préparation en magasin ou en entrepôt, retrait des courses en magasin (différents types de drives), à l’entrepôt directement ou livraison à domicile. On remarque parmi les acteurs belges, une tendance à essayer les différents modèles et à opter de plus en plus pour le picking centralisé en entrepôt.

2. La situation actuelle du marché belge

- En Belgique : le commerce en ligne alimentaire est pratiqué par Colruyt, Delhaize, Carrefour, Match, Cora et Wink (nouvelle enseigne de louis delhaize) mais ne recouvre encore qu’une très faible partie des ventes de la grande distribution (moins de 1%) contrairement à la France et l’Angleterre où il représente déjà plus de 3% ;

- Ce retard s’explique par de nombreux facteurs : le retard du e-commerce dans son ensemble vis-à-vis des autres pays, la forte densité commerciale, la structure du pays, le format des magasins,…

3. Conclusions sur l’étude de rentabilité réalisée

- Le mémoire a été réalisé en collectant les chiffres et en visitant les sites de différents acteurs de la grande distribution (dont nous ne citerons pas les noms) ;

- L’étude prouve que si l’on ne tient compte d’aucune répercussion sur le canal traditionnel et que l’on raisonne en Activity Based Costing (ABC), aucun des modèles n’est rentable dans les conditions actuelles du marché belge ;

- La non rentabilité actuelle s’explique principalement par :

         ° l’importance des coûts de personnel (bien qu’il soit possible de réduire ces coûts via sous-traitance ou par la pratique d’une méthode de picking ou de livraison plus efficace) ;et la trop faible demande de la part des consommateurs belges, qui rend la dilution des coûts fixes très difficile. 

- En théorie, le e-commerce alimentaire pourrait atteindre la rentabilité à condition d’atteindre des volumes sensiblement plus élevés qu’aujourd’hui. Certains aspects techniques obèrent toutefois cette possibilité. Certains semblent en effet présenter de tels obstacles techniques qu’on imagine mal qu’ils puissent un jour devenir rentables, à moins de faire supporter par le client le coût réel de la transaction. C’est notamment le cas des modèles procédant par préparation en magasin (progressivement abandonnée par la plupart des enseignes) ou livraison à domicile (qui est pourtant une formule adoptée par de nombreux distributeurs belges ou étrangers).

4. Les grands challenges du futur

- Le futur semble aller dans le sens d’une plus grande attirance de la part des consommateurs pour les achats en ligne, ce qui permettrait donc d’augmenter les volumes;

- Toutefois, il n’est pas encore du tout certain que cette augmentation sera telle qu’elle permettra d’atteindre le seuil de rentabilité. L’émergence du commerce en ligne va également engendrer certains challenges quant à :

         ° l’avenir de certaines grandes surfaces alimentaires,

         ° le by-pass par les producteurs qui pourraient se dire qu’ils n’ont plus besoin de la grande distribution pour atteindre le client en direct avec les moyens de communication disponibles aujourd’hui,

         ° la capacité à maintenir la marge suite à la plus grande sensibilisation au prix (puisqu’on propose au client de faire son job gratuitement ou presque – on ne le fait payer qu’environ 5 euros pour la préparation des courses – alors que rien que le personnel affecté à cette transaction coûte plus cher que cela (jusqu'à 7 fois plus cher dans certaines formules).

- Les distributeurs devront donc veiller à relever tous ces challenges, à faire augmenter suffisamment la demande des consommateurs et à trouver les bonnes conditions d’opération. On pourrait aussi, à défaut, envisager de faire payer le coût réel de la transaction au client qui dépend du modèle utilisé et de la stratégie du distributeur.

- Souvent celle-ci consiste à faire payer un montant  (ex 9,95 €) qui est inférieur au coût réel pour le distributeur.

5. Quel intérêt pour les distributeurs ?

- Le consommateur de demain fera certainement une partie de ses achats en ligne. Les distributeurs ne peuvent donc pas rater ce train déjà en marche.

- Ils se doivent en effet aujourd’hui d’envisager leur métier dans une optique multicanal.

- Certains peuvent faire le choix stratégique d’offrir en cadeau à leur client un service qui leur coûte de l’argent parce qu’ils pensent que c’est une manière de se différencier et d’accroître leurs parts de marché dans un marché saturé. 

- Certains considèrent d’ailleurs que la vente en ligne permet d’occuper le personnel du magasin lors de périodes plus creuses et ne constitue donc pas un coût additionnel, comme nous l’avons envisagé en ABC.

- Enfin, le commerce électronique ou l’implantation de drives leur permet d’attaquer des parts de marché qui leur étaient inaccessibles jusque-là, en s’implantant dans des endroits où ils ne sont pas ou en proposant des assortiments qui ne font pas partie de leur gamme habituelle de produits en magasin. C’est la stratégie utilisée par certains distributeurs français qui implantent des « Drives » dans les régions où leur densité commerciale est inférieure à celle de leurs concurrents. 

D’après le mémoire de fin d’études de Jill Rolland, Ingénieur de Gestion Solvay, 2014 Dirigé par Claude Boffa,Professeur de marketing, Directeur Académique de l’Executive Programme in Retail and Consumer goods Distribution, Solvay Brussels School of Economics and Management

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